Je repars de Color Caribe l'esprit sens dessus dessous. Moi qui croyais être au plus bas, il faut croire que la vie a décidé de monter le niveau d'un cran.
Santiago s'est évadé de prison. Les mots de Maria Carolina tournent en boucle dans ma tête. Comment est-ce possible ? Ne sont-ils pas censés surveiller les types de son genre comme le lait sur le feu ? Que compte-t-il faire, où peut-il bien être allé ?
Lorsque mon regard croise la porte d'entrée de chez moi, j'entrevois tout ce qui m'attend. Ma mère au fond du trou, avachie sur le canapé, le regard vide. Jusque-là, j'ai pris sur moi pour l'aider à retrouver un peu d'énergie mais, dans mon état actuel, je suis incapable de lui prodiguer quoi que ce soit, à part de l'anxiété chronique. Je dévie alors mon chemin pour remonter la rue de Tumbamuertos et son enfilade de bâtisses colorées.
J'ai juste besoin de m'évader un peu. Juste une heure ou deux.
La vue des balustrades entremêlées de fleurs qui bercent mon quotidien depuis ces cinq dernières années me réchauffe le cœur. En m'offrant une nouvelle vie, et même une nouvelle famille, le barrio San Diego m'a sortie de l'isolement et du mal-être de mon foyer familial. Lorsqu'ils m'avaient vue débarquer seule avec des centaines de cartons, les voisins s'étaient empressés de m'aider. Pour les remercier, je leur avais offert à tous des pizzas, et ma fin de déménagement s'était transformée en banquet festif. À ce moment, j'ai su que je ne serai plus jamais seule.
Les mains dans les poches, sans affaires ni sac, je regarde filer mes pensées comme des nuages dans le ciel. J'arpente seule les rues en allant là où mon instinct me porte, déambulant entre les scooters suicidaires, les étals débordants de fruits et les enfants jouant au ballon à même la chaussée. Je laisse les odeurs de fleurs tout juste arrosées, de viande grillée et de pots d'échappement emplir mes narines. Au fur et à mesure que le temps file, je me surprends à songer que les choses ne sont peut-être pas si moches, après tout. C'est au moment où je m'arrête pour considérer un instant ma situation sous ce nouvel angle que je prête enfin attention au décor... Et ce que je découvre me laisse figée sur place.
Je connais trop bien ces hautes tours et ces larges rues bordées de palmiers, cette école à la façade colorée et ce supermarché aux vitres impeccables. Et surtout, je connais trop bien ce parfum sucré qui semble flotter en permanence dans l'atmosphère, mêlé à celui du gazon fraîchement tondu, qui donne l'impression de se balader dans un prospectus immobilier. Je suis à Castillogrande, le quartier où j'ai grandi.
Bon sang, depuis combien de temps suis-je en train de marcher ? Ce quartier est à une heure de San Diego, je n'aurais jamais pensé arriver jusqu'ici. Coïncidence, fruit du destin ou de mon subconscient ? Je n'ai pas le temps de trancher sur la question avant que les souvenirs ne m'assaillent.
Bouleversée et intriguée, je continue de marcher. Même après des années, j'ai l'impression de reconnaître chaque détail. Le soleil a bien baissé, je dirais qu'il doit être environ dix-huit heures. En m'enfonçant dans les allées calmes, je vois des scènes se jouer devant mes yeux comme sur un écran de cinéma. Ma mère qui m'accompagne à l'école en tâchant de dissimuler ses yeux rouges derrière des lunettes de soleil, les voisins qui murmurent sur notre passage. Le sourire de mon père lorsqu'il m'emmène manger une glace à la boutique du coin en m'assurant que les jaloux sont prêts à raconter n'importe quoi pour entacher la vie des gens heureux. Rentrer seule à l'appartement avec un dessin pour lui et le chercher partout. L'attendre des jours, le nez collé à la vitre. Jusqu'à reconnaître un beau jour sa voiture garée dans une rue, m'approcher, le trouver en train d'embrasser une femme que je ne connais pas.
J'achève mon pèlerinage au pied de la porte de l'immeuble où j'ai grandi. Moi qui ne savais pas si rendre visite ou non à mon père, on dirait que mes pieds ont fait leur choix. L'interphone flambant neuf semble me défier du haut de sa caméra dernier cri. La troisième étiquette en partant du bas indique toujours le même nom en lettres capitales. SUAREZ.
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Le parfum des ennuis
ChickLitJe n'ai jamais été du genre à me laisser dépasser par les évènements. Même lorsque ma mère débarque chez moi en m'annonçant que mon père l'a mise dehors, que je me retrouve sans un sou et contrainte de mettre mes projets de carrière en pause pour tr...