Chapitre 36 - Quoi qu'il advienne, les amis de la Zona 13 seront toujours là

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Accoudée au bar de l'illustre Zona 13, je savoure la quiétude insoupçonnée des lieux. Je m'attendais à trouver le local survolté que je connais mais le mardi soir, plus calme, est dédié à la danse de couple. La salle a été entièrement dégagée pour que l'intervenant puisse y donner des cours de salsa et de cumbia. De ce que je vois, une bonne quinzaine de personnes est réunie sur la piste et l'écoute attentivement.

— Et une tournée d'aguardiente pour tout le monde !

Cette proposition allègre de Sebastián sonne le glas de mon instant contemplatif.

— De l'aguardiente, encore ? conteste Sara en faisant la grimace.

— Comment ça, encore ? On ne s'est pas tous retrouvés depuis des semaines. Il faut marquer le coup, et quoi de mieux que l'aguardiente pour ça ?

Le barman n'attend pas son feu vert pour sortir un plateau de shots et une bouteille d'Antioqueño. Je ris en voyant l'afro-caribéenne pester, tandis qu'Ivan accourt. D'aussi loin que mes souvenirs remontent, cette liqueur a toujours fait débat.

— Je rejoins Sebas sur ce point, renchérit Rafael. Il n'en faut pas moins pour fêter le retour d'Ana comme il se doit.

— Parce que tu fais l'apologie de l'aguardiente, toi, maintenant ? l'interroge l'interpellée en arquant un sourcil. Je croyais que tu détestais ça.

— Non, tu sais que je ne bois pas, mais j'honorerais notre noble tradition en sacrifiant mon verre pour les âmes du purgatoire.

— Tu parles d'un sacrifice...

— Grâce à moi, vous pourrez rentrer chez vous sains et saufs, ne me remerciez pas.

Ana fixe Rafael en plissant les yeux, avant que Sebastián n'interrompe leur échange en frappant un coup sur la table.

— Trêve de bavardages ! Comme le dit Tico, si on est ici ce soir, c'est avant tout pour Ana, déclare-t-il d'un ton pompeux. Je vous invite donc à lever votre verre à son retour !

La tablée s'exécute avec plus ou moins d'envie mais, une demi-seconde plus tard, tous les verres sont levés vers notre amie. Si elle était revenue de ce séjour chez les Maestre pâle et amaigrie, Ana a vite retrouvé bonne mine. Vêtue ce soir d'une robe bleu pastel au dos échancré, je dirais même qu'elle rayonne. La peau mate de son visage est dégagée par un chignon duquel s'échappent quelques mèches couleur ébène et ses yeux en amande sont soulignés par un maquillage subtil.

— Je ne sais pas quoi dire... Votre présence ce soir me touche beaucoup. Ces dernières semaines n'ont pas été de tout repos mais, au vu des derniers événements, je peux enfin me dire que tout ça est derrière moi. Et c'est en grande partie grâce à vous...

Ana laisse ses iris d'un vert perçant s'attarder sur Sara, Rafael, Camila et moi.

— Je suis arrivée à Cartagena il y a moins de six mois dans l'espoir de rencontrer ma mère biologique mais ce n'est pas qu'elle, que j'ai retrouvée. J'ai aussi gagné une famille entière. Alors, merci pour tout. Sans vous, je ne sais pas ce que j'aurais fait.

Mon amie termine sa déclaration les yeux embués de larmes. Je m'empresse de me lever, talonnée par Sara, et nous nous enlaçons toutes les trois. L'odeur sucrée de Sara se mélange aux arômes fleuris d'Ana dans un parfum réconfortant. Que c'est bon de retrouver ses amies...

— Un jour, un grand sage a dit : les amis vont et viennent, mais ceux de la Zona 13 seront toujours là pour toi.

Alpaguées par cette phrase témoignant d'une philosophie certaine, nous desserrons notre étreinte. Le regard pensif de Sebastián, accoudé au bar à côté de son plateau de shots, nous fait éclater de rire.

Le parfum des ennuisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant