Epilogue - Après l'arroseur arrosé, le courtisan courtisé

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— Fais chier, on n'y voit rien !

Avançant à tâtons dans la semi pénombre, j'ignore les grommellements d'Ivan. Je ne peux pas vraiment le contredire : depuis que nous sommes descendus de ma voiture enfin réparée, nous avons mis au moins dix minutes à faire cinquante mètres. C'est à croire que ce quartier est dépourvu d'éclairage public. Encore une rue où une femme ne pourrait pas se balader seule passées vingt-deux heures...

— On y est presque ! annoncé-je. Faites attention au rebord du trottoir.

— En effet, manquerait plus que je laisse tomber mon cajon pour une serenata à ce bougre...

Je me retourne. En plissant les yeux, je peux distinguer les silhouettes chargées des trois musiciens du groupe du 11 novembre. Je m'apprête à rétorquer mais Rafael, ne supportant visiblement plus les protestations de son frère, me devance :

— Ivan, respeta ! Juli s'est beaucoup entraînée pour ça, alors t'as pas intérêt à tout gâcher avec tes mauvaises ondes.

— Mes mauvaises ondes ? Tu étais le premier à râler contre Rola et ses plans foireux...

— Effectivement, et je ne compte pas arrêter. Mais pour une fois, ce n'est pas lui qui en est à l'origine. Puis, ce ne sera jamais pire que la serenata qu'il avait voulu te donner à deux heures du matin, tu te souviens, Juli ?

— Comment oublier... soupiré-je.

Entendre les frères se chamailler me renvoie des mois en arrière. À l'époque, j'avais assisté à la scène depuis ma chambre, et c'était Rolando qui était en bas... Si j'avais su qu'un jour, les rôles s'inverseraient, je n'y aurais pas cru une seconde.

— C'est sûr, renchérit Ivan. En tout cas, j'espère qu'on ne subira pas le même sort que lui...

Les mots du frère Corrales flottent quelques instants dans le silence de la nuit. J'entortille nerveusement une mèche autour de mon index, avant de la lâcher d'un geste vif. Maintenant que je vis le stress que l'on ressent de l'autre côté du rideau, je crois que je ne lancerais plus jamais le moindre seau d'eau à la moindre serenata, même donnée en pleine nuit avec un set de casseroles pour accompagnement.

— On y est.

Interpellée par l'annonce de Sebastián, je relève la tête pour détailler le seuil de porte qui se trouve devant nous. Le nom « Rolando Daza » indiqué sur la boîte aux lettres fait redoubler d'intensité les battements de mon cœur.

Je lisse le tissu de la combinaison verte d'Ana en tentant de maîtriser ma respiration. Quand j'ai appelé mes amies pour un renfort impérieux, cette dernière a accouru aux côtés de Sara et de Camila. Je leur ai alors expliqué que j'avais besoin de soutien moral... et d'une tenue digne de ce nom. Depuis que j'ai vendu la quasi-totalité de mes vêtements, on ne peut pas dire que le niveau de ma penderie vole très haut.

Camila m'a proposé de me rendre tous mes habits, mais j'ai décliné son offre. Je compte bien les récupérer en lui rendant tout son argent et, pour ça, il va me falloir un peu de temps. Suite à notre réconciliation, j'ai accepté que mon père ne subvienne qu'à mes besoins primaires à savoir : loyer, électricité, études et nourriture. Le reste, ce sera à moi de travailler pour l'obtenir. Mon père n'a pas vraiment compris, mais a accepté les termes de mon contrat tant que je lui promettais de reprendre mes études.

Lorsqu'Ana m'a proposé la combinaison que je portais à la dernière soirée chez Rolando, je n'ai pas hésité. Elle m'a même confié ses pendentifs vert émeraude. Si j'avais su qu'il ferait aussi noir, je ne me serais pas donné cette peine. Je me console en me répétant qu'au moins, l'étoffe souple du vêtement ne comprimera pas ma cage thoracique au moment tant redouté du chant.

Le parfum des ennuisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant