Chapitre 2 - Le silence cache parfois les pires tourments

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— Bon, alors ? Comment c'était ? Il va falloir que tu nous racontes ! Les paysages, les gens, la musique... On veut tout savoir !

Enfouie dans l'un des fauteuils du hall de Color Caribe, j'écoute Sara et Ana d'une oreille distraite. Heureusement qu'elles ont de quoi discuter car, pour ma part, je ne suis pas d'une grande conversation.

Cela ne fait que trois jours que ma mère a toqué à ma porte, mais j'ai l'impression que ça fait une éternité. Pour le moment, elle est incapable de faire quoi que ce soit d'autre que se morfondre dans son lit en répétant que sa vie est un échec. Trop occupée à ne pas la laisser mourir de faim, de soif ou d'autoflagellation, je n'ai pas remis un pied à l'université depuis. À vrai dire, je n'ai même pas trouvé un moment pour en parler à qui que ce soit. Une part de moi me souffle qu'il faudrait que j'aille voir mon père pour lui en toucher deux mots, mais je ne suis pas certaine d'en être capable sans entacher la virginité de mon casier judiciaire.

Le niveau de mon moral frisant celui du réseau de canalisations du barrio San Diego, je me suis demandé s'il était pertinent que je vienne aujourd'hui. Finalement, l'envie d'être là pour Ana, tout juste rentrée de son périple au Panama, a primé. Je sais que nos retrouvailles sont importantes pour elle après deux mois sans s'être vues.

— Oui, c'était vraiment génial ! Laissez-moi vous montrer des photos...

Ana, les yeux brillants à l'idée de nous faire le récit de son voyage, ne remarque pas mon silence. Lorsqu'elle dégaine son téléphone pour faire défiler les paysages de rêve, je me redresse et m'efforce d'étirer les lèvres. J'ai beau y mettre du mien, je peine à avoir l'air enthousiaste. Afin d'y remédier, je tente de ponctuer chaque apparition d'un « oh » admiratif. Les filles ne savent pas encore ce qui me tracasse et il est bien prévu que je leur en parle mais, pour le moment, je veux laisser Ana sur le devant de la scène.

— Ces plages sont magnifiques, regarde-moi cette eau turquoise ! commente Sara en ouvrant de grands yeux. Ça fait rêver, on se croirait à San Andrés... Vous avez dû passer de super moments avec ton amie. D'ailleurs, comment allait-elle ?

J'écoute la conversation de mes deux amies comme on suivrait une mauvaise telenovela, déconnectée de ce qui se déroule sous mes yeux.

— Oui, très bien, répond Ana dans un sourire rêveur. C'était vraiment génial de pouvoir passer du temps ensemble, elle m'avait manqué.

— C'est génial, je suis heureuse pour toi, commente Sara. Tu méritais cette escapade, surtout après tout ce qui s'est passé... On était inquiètes pour toi, mais tu as l'air d'aller bien mieux à présent. Pas vrai, Juli ?

Tirée de mes pensées par la voix de mon amie, j'acquiesce mécaniquement.

— C'est vrai. Te voir aussi rayonnante, c'est un vrai soulagement.

Mes paroles sont sincères : après tout ce qu'Ana a traversé, entre l'emprisonnement de Santiago, la mort de Carlos puis ses funérailles, je ne m'attendais pas à la retrouver ainsi transformée. À croire que mon amie est encore plus forte que je ne le pensais.

— Je n'irai pas jusqu'à dire que tout est révolu. L'absence de Carlos me pèse et je pense à lui tous les jours... Mais le temps fait son œuvre. À présent, j'arrive à me sentir reconnaissante de tout ce qui s'est passé pour profiter des beaux moments que la vie met sur mon chemin. Passer du temps avec les personnes qui me sont chères est d'autant plus important.

Touchée par la sagesse des paroles de mon amie, je hoche la tête. De son côté, Sara pose sa main sur la sienne.

— Je savais que tu surmonterais ces épreuves, Uchi. Comme on dit, ce qui ne nous tue pas nous rend plus forte...

Le parfum des ennuisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant