Juli : Dispo ce soir ? Si oui, je peux te proposer de me retrouver à 19 heures au salon de coiffure du barrio La Candelaria.
Je retiens mon souffle avant de me décider à enfin envoyer mon SMS. Si j'étais convaincue qu'il fallait que j'aille voir Rolando suite à ma conversation avec Hector, j'ai attendu encore quelques jours pour passer à l'action. Le motif officiel, c'est que j'avais besoin de toutes mes forces pour reprendre le travail au salon de coiffure. Le motif officieux, c'est que mon orgueil crie déjà à l'idée d'aller lui avouer mes tords et, pire encore, mes faiblesses.
— Juli, tu peux t'occuper de Doña Gimena ?
Alpaguée par ma supérieure, je repose aussitôt mon téléphone dans un coin pour me redresser d'un bond. Focus, Juli. Focus.
— Bien-sûr, j'arrive.
On dit que l'être humain est capable de s'habituer à tout avec le temps. Il y a trois choses auxquelles je commence à m'habituer : le travail de coiffeuse, mon manque cruel de revenus et l'absence d'Ana. Si les deux premières sont plutôt de bon augure, la troisième est carrément effrayante. S'il s'agit d'une forme de protection, mon cerveau est un énorme lâche. En me détachant de l'inquiétude qui avait commencé à faire partie de moi, j'ai l'impression de me trahir autant que je trahis mon amie.
Le bon côté c'est qu'au moins, je suis capable d'assurer mon boulot normalement.
— Que puis-je faire pour vous, Gimena ?
La cliente, une dame d'une soixantaine d'années aux cheveux plutôt brillants au vu des années de teinture qu'elle leur a infligés, lève de grands yeux admiratifs vers moi :
— J'aimerais que vous me fassiez votre brushing signature.
— Vos désirs sont des ordres. C'est parti !
J'empoigne mon sèche-cheveux d'un air triomphant. À ma grande surprise, mon absence de formation ne m'a pas empêchée de gagner ma petite renommée au sein du salon. Depuis le brushing que j'ai fait à Camila, mes collègues m'ont encouragée à m'occuper de ceux des autres clientes et, aujourd'hui, je suis fière de le voir cité comme mon « brushing signature ».
Je suis en plein travail lorsque le tintement suraigu de la porte m'agresse les oreilles. En me tournant, je découvre la fameuse Camila. À croire que l'appel du brushing a sonné.
Je m'apprête à la saluer, mais ma supérieure me devance. Doña Luisa apprécie particulièrement Camila – l'assiduité de ses visites et la générosité de ses dépenses y sont certainement pour quelque chose.
— Señorita Ramirez !
— Bonjour, Doña Luisa.
Si la blonde est toujours très bien habillée, je remarque qu'elle semble particulièrement apprêtée aujourd'hui. La longue robe en satin qu'elle porte est fendue au niveau de la jambe et fait ressortir le rose qu'elle a appliqué sur ses lèvres.
— Que pouvons-nous faire pour vous ? Vous êtes bien belle. Laissez-moi deviner, vous avez un rendez-vous ?
Intriguée malgré moi, je baisse légèrement le débit de mon sèche-cheveux et tends l'oreille. Mais, contre toute attente, l'interrogée déclare :
— Mais non ! Je vous avais parlé de la fête surprise que j'organise à mon père...
Ses paroles me renvoient à sa dernière visite, où la blonde avait prétendu acheter tous mes vêtements pour trouver quelque chose à se mettre ce jour-là. Force est de constater que ce n'est pas l'un de mes habits qu'elle porte.
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Le parfum des ennuis
ChickLitJe n'ai jamais été du genre à me laisser dépasser par les évènements. Même lorsque ma mère débarque chez moi en m'annonçant que mon père l'a mise dehors, que je me retrouve sans un sou et contrainte de mettre mes projets de carrière en pause pour tr...