8 mai 1945, Berlin, Brandenburg, Allemagne.
« Ne t'inquiètes pas mon ange, je te reviendrai toujours. Je te le promets. »
Telle fut sa promesse d'il y a presque six ans. Il n'a pu la tenir. Je le vois encore le sourire aux lèvres, le mauser au bras couvert de cet immonde brassard, le sac sur l'épaule, le képi sur la tête, son sourire de patriote, sa foi en l'avenir et la prospérité du Reich millénaire étaient inébranlables. Il est parti avec l'ultime conviction de revenir, en vain. Je me souviendrai toute ma vie du dernier jour où j'ai pu le serrer dans mes bras, l'embrasser de toutes mes forces, admirer ses muscles, admirer le merveilleux époux que j'avais choisi d'épouser la veille de ce carnage qu'aller être déclaré. C'était le 1er septembre 1939, à 5h00. Le départ pour l'enfer, sans jamais de retour. Je ne sais pas si je pourrai maintenant que l'infâme puissance de ce pays qui me maintenait debout s'est évanouie brutalement. Quel avenir nous reste-t-il ? Je n'en vois pas, je ne vois que du noir, du vide, de la terre remuée, aussi éventrée qu'un soldat sur le sol berlinois, broyé par les tanks et les pluies quotidiennes d'obus. Je me demande quand est-ce qu'ils en auront assez les Alliés... Quand est-ce que verront-ils que nous sommes battus, faibles et soumis face à leur volonté de nous détruire ? Quel nom hypocrite, « Alliés », alliés de quoi ? Alliés de qui ? Pas de la cause juste de l'humanité en tous cas.
J'ose un coup d'œil à travers la fenêtre et son peu de verre qui nous abrite. Je déglutis avec peine face au paysage ravagé, les cris d'effroi, les derniers obus nous faisant perdre l'équilibre, les infrastructures tombant en miettes de mortier, étouffant la santé fragile des derniers survivants, affaiblissant ceux qui ont encore la force de se tenir debout. Je ferme les rideaux, fatiguée de cette vision horrifique quotidienne. Je m'assieds contre le mur, la tête dans les bras, synchronisant ma respiration sur celle calme, douce, et relaxante de ma mère Petra. Je ne sais pas si elle s'est rendue compte de toutes ces horreurs, j'ai plutôt l'impression qu'elle est tombée dans un coma dès qu'elle a su que l'histoire se répétait. Les tueries entre français et allemands, éternelles, devenant un sujet phare dans les histoires des enfants. Elle a perdu son père dans la Grande Guerre, et voilà mon tour de perdre le mien. Günther est mort en 1943, à la fin de la maudite bataille de Stalingrad. Là aussi, les mots de son général torturent encore mon esprit.
« Chère Elvire Klein,
Je ne sais pas si cette lettre vous parviendra un jour, mais peut-être par la grâce de Dieu un miracle se produira. J'ai orchestré une des offensives les plus meurtrières de la fin de cette bataille, et je m'en veux terriblement, sachant que le mot meurtrier n'était pas associé au bon camp. Si je vous écris, ce n'est pas pour vous rassurer ou vous faire croire que l'on est dans un monde idyllique. C'est un monde horrible, surtout pour vous. Désolé de vous l'apprendre ainsi mais être une femme aujourd'hui ce n'est point un avantage, tout le poids de la défaite ou de la victoire est sur vos épaules, vous n'avez guère le droit de faillir bien que ce que je vais vous dire est dur. Votre père nous a quittés dans l'offensive, il nous a quittés en tant que héros, en sauvant tous ses frères d'arme face à l'aviation russe. Je ne peux pas vous en dire plus, il m'a juste fait promettre que s'il lui arrivait malheur, que je devais vous écrire et venir vous voir quand la guerre sera terminée. Toutes mes condoléances, tout ira bien. Gardez espoir.
- Général de brigade Karl Manaus. »
Lui nous avons eu la confirmation qu'il ne rentrerait jamais du front, mon pauvre père doit sûrement croupir dans une fosse commune s'il est chanceux, dans le cas inverse son corps n'est plus qu'ossements dans la steppe de l'Est. Mon époux, Rainer, personne ne sait ce qu'il est advenu de lui, tous ses supérieurs, ses congénères, tous ont été tués. Il n'y a que lui qu'on ne sait pas, et personne n'a voulu savoir. J'ai eu beau supplier toutes les mairies d'Allemagne, aucune n'a daigné essayer, me répétant qu'il est mort. Six ans de disparition peuvent rimer à tellement, je me suis toujours dit qu'il était vivant quelque part, coincé par les français ou les russes et qu'un jour il réussirait à passer la frontière pour me retrouver. Seulement les années passent, et il ne revient pas.
« Elvire !!! Elvire descends ! »
Je reconnais la voix de mon frère Wolfgang en bas des escaliers. Je cours, manquant la chute à plusieurs reprises. Je le vois contre le mur, ses cheveux châtains pendant de chaque côté de la tête, le teint blafard recouvert de sang et de suie, le souffle court.
« Wolf qu'est-ce qui se passe enfin ?
- Faut qu'on dégage d'Allemagne, les Ivans... Ils viennent chercher les anciens nazis et regarde mon tatouage ! S'écrie-t-il affolé.
- Je vais te l'arracher.
- Mais t'es folle ma parole ? Vaut mieux partir !
- N'importe quoi, tu vois bien qu'il vaut mieux être allemand en Allemagne qu'ailleurs ! On va se faire décimer, peu importe où l'on va, ils nous traqueront. Alors qu'ici, nous avons nos droits et nous n'avons pas été élevés en tant que lâches.
- C'étaient des phrases à Hitler ça ma sœur.
- Sauf que lui ne savait pas les user à bon escient. Maintenant viens avec moi. »
Je l'ai tiré de force par le bras, et nous sommes allés dans le sellier dans la cage d'escaliers. J'ordonne à mon frère de s'enlever la veste des SS, et de s'allonger sur le placard. J'ai fouillé un peu partout, prenant de l'alcool à 80 degrés, des tissus, un couteau, prête à restituer mes cinq années d'étude d'infirmière à Dresde.
« Lève le bras.
- D'accord chef.
- Fous toi ça dans la bouche, serre autant que tu peux t'as pas intérêt de faire un bruit sinon on est morts.
- Tu vas pas me découper le bras quand même ?
- Juste un morceau de peau et le brûler après. »
Ses yeux se sont écarquillés mais il n'a rien dit. J'imagine bien qu'il a vu pire pendant six ans, entre les combats à l'Est, son expédition en France et les camps... Je saisis le couteau, faisant face au tatouage qui a arraché la vie a plus de six millions de juifs et tellement d'autres. Mon petit frère ne savait pas dans quoi il s'engageait, pour lui entrer dans la SS était juste un moyen de faire partie de l'élite qui servirait avec honneur son pays. « Mon honneur s'appelle fidélité. » disaient-ils tous en chœur.
C'est cet honneur et cette fidélité qui m'ont pris Rainer... ai-je pensé avec dégoût.
La lame traverse la peau de mon frère, il ne dit rien, son visage se crispe simplement. Je retiens de rendre mon repas face au sang chaud s'imprégnant sur mes doigts, accompagné de ce bruit sinistre, comme un petit ballon explosant lentement. Je tourne l'arme le ventre à l'envers, une main sur la bouche de Wolf suant à grosses gouttes. Je fais une pause, observant au hublot des soldats américains arrêtant des gamins des jeunesses hitlériennes.
« C'est bientôt fini. »
Il acquiesce, sans pouvoir rien faire de plus, il se contente simplement de resserrer son étreinte sur le large morceau de tissu sur je lui ai fourré dans la bouche.
Vint le moment où je dois retirer ce disque de peau. Je le regarde, il hoche la tête. Je fonce. Mes doigts se posent sur la chair humide, la retourne, je toussote quand mes extrémités frôle le sang et le fluide corporel. C'est fini, je jette le disque et jette quelques centilitres d'alcool sur la plaie. Mon frère cache un cri, tapant du poing sur la table, les yeux remplis de larmes. Je désinfecte comme je peux avant de le serrer dans mes bras doucement, le rassurant pour éviter qu'il panique.
Quelques heures plus tard...
« Elvire ?
- Oui ?
- Merci... soupire-t-il visiblement exténué.
- Oh Wolf, pourquoi me remercier ?
- Tu m'as pas laissé.
- Non car on est une famille, on s'entraide et on ne fuit pas. »
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Revers de Médaille
Historical Fiction1945. La seconde guerre mondiale a arraché la vie à plus de 60 millions de personnes, tous les camps réunis. Mais elle a également détruit la vie à ses millions de personnes, qui ont perdu famille, amis, amour et y ont laissé une partie de leur âme...