Chapitre 14 Elvire

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Presque huit mois se sont écoulés depuis ma conversation à la fontaine avec Antoine. Et je ne sais qu'en penser, je ne sais qu'en ressentir. Je constate juste les faits, que sa présence apportait une certaine légèreté dans ma vie. Il me rappelait constamment que tous ses congénères ne sont pas des monstres, que notre existence mérite d'être vécu dans l'instant présent sans laisser un pied dans le passé pour se rassurer. Je ne peux rien y faire de plus. J'ai promis d'attendre Rainer, de ne jamais le trahir, le tromper, bafouer ma féminité pour un homme qui n'est pas mon époux, de me battre, de rester forte, de rester Femme jusqu'à son retour. Je tiendrai cette promesse jusqu'à mon dernier soupir, et j'assume malgré tout d'avoir coupé tout lien avec le soldat Verneuil.

« Cela fait 28 ans que la Grande Guerre est terminée, souligne ma mère en mangeant du pain rancis.

– C'est vrai. Il n'y a plus de pain ?

– Eh non ma fille ! Les Français se croient tout permis depuis qu'ils peuvent fêter leur jour de gloire là où ils ont apporté la défaite !

– Maman... gronde Wolf assis sur une chaise. Tu veux que je te dise ce qu'on faisait en France ?

– Je ne veux pas savoir, ce sont tous...

– On fêtait l'anniversaire d'Hitler chaque année, les paperasses à Rethondes en 1940, ce qu'on a fait à Versailles, au palais des Glaces et j'en passe !

– Bon, ai-je toussoté sachant la dispute mordre à l'hameçon. Je suis sûre que l'on peut passer une bonne journée malgré tout non ?

– Tu es naïve ma pauvre fille...

– Non elle est réaliste. »

C'est alors que Wolf se lève, sauvagement animé par cette vague de colère qui le submerge tous les jours. Je le regarde faire face à notre mère, dans une telle fureur que j'aurais presque cru qu'il allait la gifler.

« Comptes-tu vivre dans la haine d'autrui encore longtemps Maman ? Cette connerie ne te fatigue pas ?!

– Ne me parle pas sur ce ton. »

Je reste spectatrice.

« Oh Maman, rit-il. Si tu savais ! Je t'aime, je te respecte mais j'en peux plus de t'entendre pleine de haine alors que tu ne vois que ce que tu veux voir.

– Enfin voyons ! Je vais te gifler et tu vas te taire à la fin espèce de collabo !

– Maman !!! suis-je intervenue, tout bonnement outrée qu'elle l'insulte lui de la sorte.

– Mais tu peux me gifler Maman, ajoute-t-il d'un ton calme. Tu peux. Fais toi plaisir même ça me rappellera les bons souvenirs chez les Russkofs. »

Cette phrase me fend le cœur, qui se fissure encore plus face à l'indifférence que porte ma mère à l'état post-traumatique de mon cadet.

« Arrête donc de te victimiser mon fils, je croyais que tu étais plus fort que ça !

– En fait tu es comme eux Maman. Tu as horreur qu'on se rebelle face ta vision du monde pathétique, restrictive et honteuse après tout ce qu'on a vécu !

– Maman, sors je te prie.

– Tu oses me mettre dehors Elvire ?

– Temporairement, vas avec tes copines aujourd'hui, mais ne rentre pas à la maison de si tôt.

– Vous êtes ingrats avec moi...

– Alors comment peut-on définir le fait qu'une mère dise à son fils qu'il se victimise après quatre mois de torture intense ? »

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