Chapitre 37 Wolfgang

5 2 0
                                    

25 décembre 1948.

Noël est sûrement la seule fête de l'année, et ce depuis que le christianisme existe qui réussit à réunir toute une famille autour d'une même table. Encore aujourd'hui, j'observe, empli d'un délicieux sentiment de paix toute ma famille, souriant, riant, parlant, greffée à leur coupe de champagne que j'ai volé aux russes, mais officiellement je l'ai obtenu grâce à ma collaboration avec l'ennemi. Tous sont présents ; Elvire, notre mère, Klara, ses parents. Je pose à peine mes yeux sur Rainer, le regard vide, remuant son assiette avec le bout de sa fourchette. Dès qu'il a voulu du mal à Antoine, il a été rayé du statut familial que je lui accordais. J'attends que ma sœur me donne le feu vert pour le venger, elle m'a retenu trop de temps, je ne peux plus me tenir face à celui qui a fait du mal au seul de ma famille qui n'est pas attablé avec moi.

Mon ami français mérite plus sa place à cette grande table que ce que Klein la mérite.

Ma mâchoire se crispe, incapable de contenir cette hypocrisie continuelle dans laquelle je dois vivre pour assurer le bien commun. Mon aînée me jette un regard interrogateur, et à voir ma mine écœurée, elle comprend, se tourne vers sa belle-mère pour poursuivre leur discussion. L'ennui se fait de plus en plus grand, mais avant que je puisse m'enfuir fumer sur le petit balcon, mon beau-frère m'interpelle.

« Wolf, on ne t'entend pas beaucoup.

– J'ai rien à dire.

– Tu parles plus avec ton ami qu'avec ta famille à ce que je vois, c'est un peu blessant. »

Ma bouche s'entrouvre, prêt à le remettre à sa place, or, la main de me bien-aimée se pose sur ma cuisse avec douceur. On s'observe, elle me rassure, me rappelle que je suis formellement interdit de foirer le quasi seul repas de famille par an, m'ordonne de ses prunelles vertes de laisser mes principes de côté le temps de quelques heures.

« Vous savez ce qu'on entend dans les rues ?

– Quoi donc, Maman ? Ai-je répondu, tentant d'oublier ma colère.

– Apparemment, comme en France pendant l'Occupation, les allemands se rassemblent et résistent contre les russes.

– C'est bien, approuve le père Klein, le monde voit qu'on n'est pas un peuple déloyal, on en a encore dans le ventre !

– Ce qu'il faut éradiquer, reprend mon beau-frère, c'est les traîtres qui collaborent avec les français.

– Mais tu ne peux donc pas arrêter ?

– Quoi, mon ange ? Arrêter quoi ? Certains ont la mémoire courte, ils ne se souviennent pas de tous les morts allemands qui ont été causés là-bas, ils ne nous tuaient pas par obligation, ils choisissaient de nous trucider, de nous faire exploser dans nos camions et j'en passe ! Ceux qui entretiennent toute forme de lien avec ces monstres, ne valent rien, ajoute-t-il en me fusillant du regard. »

J'esquisse un sourire, n'étant pas né pour courber l'échine face à un homme détruit qui ne sait pas se remettre en question. Klara ne dit rien, elle ne me trahira pas, car elle sait à quel point son frère est sur le bord de la démence et à quel point mon combat mérite d'être poursuivi. Elvire quant à elle, se contente de soupirer, la gorge nouée, piquant dans son oie rôtie. Les trois parents se contentent de nous jauger du regard avec une étincelle curieuse, ayant probablement capté l'animosité entre Klein et moi.

Le silence règne jusqu'à la fin du repas, avant que ma mère s'exclame d'un ton joyeux, voire ironique.

« Vous savez, je pense quand même que les Soviétiques sont pires monstres que les Français ! »

Revers de Médaille Où les histoires vivent. Découvrez maintenant