Chapitre 31 Antoine

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Je commence petit à petit à perdre la notion du temps, cloîtré dans le sous-sol de je ne sais quel bâtiment privé, non reconnu par le nouvel État fédéral d'Allemagne de l'Est car bien que nous ayons le contrôle de la zone, l'Union Soviétique domine les français en territoire occupé. Et ce, sur de nombreux domaines.

Je gigote, retenu par des attaches au niveau des poignets, assez serrées pour que du sang coule au compte-goutte sur le sol cabossé, retentissant dans une petite mélodie sinistre. Je soupire, fatigué, lassé d'être assis sur cette foutue chaise en bois, respirant l'humidité, la poussière et les globules rouges séchées. La seule vue que j'ai, faiblement perceptible à cause d'un crucial manque de luminosité est un petit bureau en hêtre massif, assez large pour y poser mes deux mains. Je tressaute en me rappelant du bruit de mes ongles arrachés après une première séance de torture en 1943, l'acide coulant sur mes avant-bras, les coups. Coups de poings, coups de pieds, avec divers instruments qui me ramène inconsciemment en France pendant la guerre, où chacune de ses attaques avait pour but de m'arracher des informations. Là c'est différent, j'ai la cynique impression d'être plus résistant, et cette fois-ci, le but n'est pas de me soutirer des renseignements mais de me tuer.

Je ne comprends pas, je ne comprends toujours pas ce que je fous ici et depuis une semaine, ce fumier ne me dit pas pourquoi je suis là.

Des pas résonnent à quelques centimètres de l'antre du tortionnaire Krämmer. Il arrive. J'en suis sûr, instinctivement, je sens ma nuque s'imbiber de sueurs froides. L'histoire se répète, indéfiniment. Le français agressé par la violence allemande, peu importe les rôles de nos deux pays.

Je cache un sursaut quand le colosse aryen se dresse devant moi, me pénétrant de son regard bleu translucide.

« Bonjour Antoine. »

Je ne réponds pas, mais cette absence de réponse me donne droit à la lame de son poignard le long de ma joue. Je serre les dents face à la longueur et la profondeur de l'entaille, le sang dégouline sur mon cou et descend tranquillement vers mon haut blanc noirci par cette semaine exténuante. Je n'en démords pas, maintenant mes yeux gris dans les siens.

« Vous ne baissez plus les yeux maintenant ?! Me menace-t-il en brandissant sa schlague.

– Oh Krämmer, vous passerez donc votre vie à torturer sans résultat ? »

Dès qu'il l'abat dans mon nez, que je sens se tordre, craquer, saigner, je me mets à rire tel un possédé qui n'a plus rien à perdre. La pluie de coups continue, je crache sur le côté, et regarde à nouveau mon assaillant. Il hurle, serrant ma gorge au point que je sens mes globes oculaires sortir de leurs orbites, je peine à respirer, tant par la fatigue et la douleur. Krämmer m'assène je ne sais combien d'uppercuts au travers de la mâchoire, je crache à nouveau du sang, la tête me tourne légèrement mais je ne faillis pas. Si je devais faillir, je l'aurais fait en 1943.

« Décidément petite merde, t'es plus résistant que ce que tu l'étais il y a cinq ans de ça ! »

Dans un élan de rage effréné, il me lance une bouteille de schnaps explosant lamentablement au contact de mon visage meurtri. Je grogne, ne me laissant pas abattre par quelques morceaux de verre accrochés sur ma peau. L'aryen m'observe, avec sa gueule enragée, tel un fou qui n'a pas pu atteindre son objectif, le voilà parti je ne sais où. Ce qui me laisse le temps d'essayer, pour la énième fois de la semaine de me libérer, rien n'y fait, je me débats face aux menottes, mais plus je me débats, plus je saigne. Le monstre réapparaît, avec un flacon, un mauvais pressentiment m'envahit, qui se voit réalité. Il s'avance vers moi, coiffé d'un sourire sournois. Krämmer attrape mon bras, le compresse, sur les entailles qu'il a fait avec grands soins, jusqu'à ce que je suinte comme un porc. Lorsqu'il verse sur ma clavicule un acide, tout mon corps se braque, je hurle, je gueule, les larmes coulent sans que je ne puisse le contrôler, elles coulent au même rythme que le liquide mortel coule le long de mon torse et en désintégrant mon épiderme. Je tremble, comme un possédé, claquant des dents, dégoulinant de sueurs froides, je serre les dents, espérant que mon propre massacre se finisse bientôt.

Revers de Médaille Où les histoires vivent. Découvrez maintenant