Chapitre 19 Elvire

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Dans la même journée, vers le début de l'après-midi.

Me voilà dans le métro, revenant sur Berlin après une quotidienne dure matinée de travail. Je peine à tenir sur mes deux jambes, accrochée fermement à la rampe, mes yeux se ferment seuls. J'ai passé ces sept précédentes heures à courir partout pour calmer les vétérans de la guerre. Ils étaient tous euphoriques, les yeux brillants de je ne sais quelle émotion, dans un mélange de stress et de haine très dur à canaliser. Une de mes collègues m'a expliqué que ce chaos général à l'hôpital est justifié par l'horrible date du 8 mai 1947. Le 8 mai tout court, date d'infamie, de honte, et d'injustice. Deux années déjà que tout ça s'est terminé, que les dernières vies ont été arrachées, que les derniers espoirs ont été anéantis. Je comprends leur rage. Ces pauvres soldats sont cloués au lit, et leurs émotions sont décuplées à l'idée de se dire qu'ils ne peuvent plus participer au bon fonctionnement de leur pays. Le nouveau pays des Alliés.

Je sors à la lumière des grandes avenues bourdonnant de citoyens cherchant à se reconstruire, et de nos Occupants à moitié fatigué à moitié désireux de se venger encore et toujours. Je me mêle à la ruche, ouvrant une des lettres que Wolf m'avait écrit en hiver 1944, alors qu'il se battait contre les français et leurs alliés dans les Ardennes. Car oui, même deux ans après la fin officielle des hostilités, certaines lettres ne retrouvent leurs destinataires que maintenant, que ce soit à cause de la censure de l'époque ou de la difficulté des transports. Je retiens une petite larme.

Ma chère sœur,

Je ne devrai pas penser ainsi, et je ne devrai surtout pas t'écrire ceci car je suis sûr que tu pourras la lire que bien après toute cette horreur. Je commence à saturer de tout ça, et je ne suis pas le seul. Tous mes camarades commencent à se lasser de devoir tuer, arracher la vie à des pères de famille ou à des jeunes hommes ayant juste mon âge. C'est crevant, crevant et tellement inutile. Avant, je savais quel était le but de cette guerre, je savais pourquoi je me battais. On voulait tous offrir à nos mères, à nos sœurs et à nos épouses une vie meilleure, où, les allemands ne seraient pas les monstres faibles des histoires pour enfants. C'est pour cette raison que j'ai rejoint la SS, et cet enrôlement est allé trop loin. Je vais réussir à terminer cette lettre, bien que les conditions d'écriture dans une tranchée remplie de boue, de sang, et de fluides corporels des cadavres ne soient pas les meilleures conditions.

Je t'écris, tous les jours, même si c'est pour quelques mots. J'aime pas écrire chère sœur, mais de te savoir toute seule à Berlin avec notre mère proche de la démence me fend le cœur. Tu ne méritais pas ça, tu méritais au moins quelqu'un sur qui soit là pour toi et qui te soutienne. Moi je te soutiens, comme je peux, à des milliers de kilomètres mais je suis là. Et je le serai toujours. Je rentrerai vivant, ne t'en fais pas, alors bats toi Elvire, et garde la tête haute que personne ne voit ta faiblesse. Tu es Madame Klein, une belle et jeune femme mariée qui retrouvera son époux alors ne flanche pas. Je peux te dire, si tu ne le sens pas toi-même, que vu la situation, ce sera bientôt terminé.

Il fallait également que je te dise que j'ai vu Rainer il y a quelques mois. Je l'ai vu quand nous étions à Paris, face à tous les Résistants français. Il était là, puissant, fort, dans son milieu naturel avec son mauser au bras, il m'a reconnu. Nous nous sommes battus jusqu'au bout, ensemble, envers et contre tous les Alliés, on a formé une sacrée équipe. C'est grâce à nous que la majorité des généraux et officiers supérieurs ne se sont pas faits prendre en otage par les ennemis. Malheureusement, tout est allé si vite qu'on a été séparé et depuis, je ne l'ai plus revu. Sache que tu peux garder l'espoir de le revoir, car il s'en sortira, sans l'ombre d'un doute. Rainer te reviendra, même en affrontant les plus durs obstacles, je l'ai vu à l'étincelle qu'il a dans ses beaux yeux verts, il a la hargne et la volonté de le revenir. Et il le fera. Tout se passera bien chère grande sœur, ce n'est qu'une question de temps.

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