Chapitre 18 Wolfgang

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8 mai 1947.

Jamais je n'aurais cru que l'Allemagne ait deux jours de défaite, et qu'elle soit obligée de les célébrer avec les vainqueurs sur ses terres. Pourtant... Nous avons déjà fêté quatre de leurs armistices, quelle ironie ! Je considère ces deux journées comme normales, banales, en ignorant les grands défilés des troupes alliées dans notre ville.

Je me regarde face au psyché de ma sœur. Tournant sur moi-même, analysant chaque partie de mon corps que j'arrive péniblement à remplumer. Je porte une chemise bordeaux cintrée, laissant transparaître les reliefs de mes muscles à l'agonie, rentrée dans un pantalon de ville ample et noir, habillé des mocassins du défunt patriarche Günther. Je m'observe encore, réfléchissant à comment je pourrai être le plus élégant possible. Je me passe de l'eau sur le visage, et avec quelques gouttes je plaque ma chevelure châtain en deux parties inégales.

Sale. Monstre. Faible. Victime. C'est ce que tu es Wolfgang.

Je sors de la salle de bain, enfile un long blouson avant d'affronter le printemps de rues berlinoises. Je me rends chez le fleuriste, essayant de cacher mon petit sourire en demandant une demie douzaine de roses rouges.

« Un mot pour la jolie demoiselle qui recevra le bouquet ? Me demande le vieil homme toussoteux.

– Non merci, je vais le lui donner en personne.

– Quelle chance ! Passez une bonne journée bel homme ! »

Je paye et pars en direction de la résidence Klein, encore troublé par ces deux derniers mots - " bel homme " -. Il a sûrement dû avoir pitié de moi et mes immondes cicatrices encore violacées me barrant le visage. Un homme comme moi ne pourra plus jamais être qualifié de beau, de charmant ou autre. C'est impossible.

Je toque, tombant sur la mère de Klara.

« Bonjour Madame.

– Wolf, quel plaisir de te voir !

– C'est réciproque, mais je...

– Tu viens chercher Klara je présume vu le magnifique bouquet que tu tiens ?

– Oui.

– Je vais te la chercher. »

Je hoche la tête. J'attends quelques secondes avant de la voir courir vers moi, s'arrêtant juste avant de me serrer dans les bras, par réflexe peut-être. Je la regarde de haut en bas, savourant sa beauté. Elle est vêtue d'une jupe évasée beige, un chemisier fleuri blanc entouré d'un léger châle assorti au bas, elle a retenu sa chevelure brillante acajou dans un ruban de satin. Klara me sourit, très touchée par mon attention.

« Tu n'étais pas obligé Wolf, ça me fait vraiment très plaisir. Sachant que c'est les premières fleurs que je reçois, je trouvais ça bête d'exiger que...

– La seule chose qui est bête Klara, c'est qu'aucun homme ne s'est intéressé à toi pour t'offrir des fleurs. »

Je vois ses joues prendre de magnifiques teintes rosées avant que je lui propose mon bras pour marcher le long des riches avenues reconstruites de Berlin. J'essaie de calmer mes pulsations cardiaques, enivré de son doux parfum fruité, je n'avais pas prévu de porter un véritable intérêt à quelque chose ou quelqu'un. Je connais Klara depuis des années, depuis que nos aînés ont commencé à se fréquenter mais tout est différent désormais. Deux âmes torturées qui se recroisent, qui n'ont rien à perdre sinon à parler et nous nous sommes attachés. Qui pourrait nous en vouloir ? Absolument personne. Elle me raconte à quel point son fils grandit, elle s'extasie en me décrivant la beauté de ses sourires et moi je m'extasie devant la beauté des siens.

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