Chapitre 20 Elvire

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Cela fait à peu près une semaine que Rainer est rentré à la maison. Un nouveau train de vie se met en place, que ce soit ma mère ou moi, nous essayons comme nous pouvons de ne pas lui faire subir le vide qu'il a laissé pendant des années qui se comblera petit à petit.

Tout a l'air de lui plaire, mise à part la nouvelle Allemagne. Je sens sa déception quand il regarde les soldats Alliés. Mon mari s'est battu pour une nation libre, puissante, indépendante, avec un fort sentiment de nationalisme. Il remet les pieds sur une terre asservie, déchirée en quatre, faible, dépendante de ses supérieurs, où tous les natifs se cachent et sont prêts à feindre une autre nationalité pour s'octroyer un peu plus de privilèges. Il ne s'en plaint pas, personne ne cherche à parler de politique et de la guerre, on veut juste avoir une nouvelle opportunité de goûter à un semblant de vie normale.

Ma mère est partie avec des amies à elle se recueillir sur la tombe d'une proche qu'elles ont perdu à la Grande Guerre, ce qui me laisse un bon moment seule avec mon époux à la maison. Je pense à Wolf, que personne n'a revu depuis une semaine. J'essaie de ne pas trop m'en faire, je suis presque sûre qu'il est avec Klara ou avec Antoine, ces deux individus sont devenus deux véritables havres de paix pour mon cadet alors je le laisse. Il reviendra, il sait que Rainer est vivant, et malgré sa réticence leur lien quasi fraternel renaîtra avec facilité.

Je m'active aux fourneaux, voulant à tout prix lui préparer les meilleurs repas et des plus caloriques. Mon pauvre mari n'a plus d'appétit depuis qu'il est rentré. Je n'ose pas imaginer le longue durée pendant laquelle il a dû être privé de manger pour qu'il ne tolère presque rien. Rainer est d'une maigreur effarante, et s'il ne se force pas à se remplumer je suis prête à l'amener de force chez le médecin. Mes mains remuent dans les œufs et la farine lorsque sa voix surgit derrière moi.

« Qu'est-ce que j'ai raté mon ange ?

– Hein ? Je cuisine Rainer, tu n'as rien raté.

– Qu'est-ce que j'ai raté pendant huit ans ? Se corrige-t-il. »

Je m'arrête de pétrir la pâte quelques instants. Mon cœur cogne tout de suite plus fort, assaillie par les violents souvenirs de cette précédente décennie de solitude je réfléchis. Je réfléchis par où commencer et comment, quelles parties de ces années à raconter ou passer aux oubliettes, lesquelles valent le coup d'être dites ou non, quel genre de chose Rainer peut encaisser après sa détention en France. Je soupire.

« Tu devrais plutôt aller voir tes parents et ta sœur, on a tout le temps du monde pour que je te raconte tout ça, lui ai-je répondu en préparant de la Kartoffelsalat.

– Tu es mon épouse.

– Je sais, et le rôle d'une épouse est de prendre soin de son époux et de sa famille en priorité avant elle-même.

– Celui d'un époux de connaître sa femme sur le bout des doigts pour la protéger, sourit-il lorsque je lui vole un baiser sur le front. »

Je lui sers un monticule de nourriture, qu'il ingère avec plus de fougue que les jours précédents. Je ne vends pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué, mais je dirais que Rainer reprend tout doucement du poil de la bête.

« Si tu ne veux pas parler de toi pour le moment mon ange, tu as qu'à me parler de ton frère, ou de ma sœur ?

– Tu iras voir ta sœur cet après-midi de toute manière.

– Effectivement. »

Je pense directement à l'enfant franco-allemand de Klara, Johann Desmond. Mon pouls s'enflamme. Je connais mon mari, il n'a pas du tout la même vision du monde que mon frère vis-à-vis des français, il les déteste avec une force herculéenne. Je sais qu'il serait capable de hurler sur sa sœur pour avoir eu une idylle avec un officier français.

Revers de Médaille Où les histoires vivent. Découvrez maintenant