Chapitre 12 Antoine

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Plus de 3 semaines se sont écoulées. Trois longues semaines où j'ai été empêché par les Russes de retrouver Elvire et mon protégé. J'ai essayé de me sortir de ce merdier, de tenir ma promesse de toujours aider la famille de Madame Klein, mais ils ont réussi à me tenir prisonnier pendant un long moment. Un moment qui m'a paru interminable, où je me suis demandé si j'allais revoir cette fratrie ou non. Les Russkofs ont décidé de me relâcher sur ces mots : " tes deux parasites sont libres. " Je n'ai jamais eu plus d'indications. Aucun, que ce soit Elvire ou Wolf ont essayé de prendre contact avec moi, et étonnamment, je n'ai pu les trouver également. Je sais juste qu'ils sont vivants, quelques parts en territoire soviétique allemand. Je les reverrai, j'en suis sûr, il suffit que j'arrête un peu de vouloir tout de suite l'immédiat.

En attendant, j'essaie de me recréer une bonne réputation parmi mes congénères. Je suis persuadé que le Capitaine Petrovitch ne me laissera pas tranquille jusqu'à ce qu'il réussisse à prouver que j'ai couvert un prisonnier pendant tout ce temps. Je ne pensais pas que ma vie à Berlin deviendrait celle qu'elle est aujourd'hui. Inévitablement lié à cette famille, à cette pauvre femme veuve et à ce jeune torturé. Mon existence dépend de la leur, leur vie dépend de ma capacité à garder une parfaite neutralité. Je garde espoir qu'un jour, une stabilité naisse pour que chacun arrive à se reconstruire après cette guerre. Depuis plus d'un an que la guerre est terminée, je n'ai pas l'impression que Wolf et Elvire aient évolué. J'aurais plutôt tendance à dire qu'ils se sont renfermés sur eux-mêmes, trouvant un confort malsain dans leur propre chaos, vivant dans la peur de se dire que s'ils le veulent, ils pourront avoir une vie paisible.

Si Rainer Klein décide de revenir, tu ne seras plus rien. Car tu n'as jamais rien été Antoine, tu n'es rien à part qu'un moyen de passer le temps. C'est Rainer qu'ils veulent, pas le soldat français qui occupe leur terre.

Je chasse cette horrible voix dans ma tête. Elle me hante, car au fond de mon âme, je suis certain que cet homme est vivant. Qu'il est vivant, et qu'il est retenu quelque part à l'Est ou à l'Ouest. L'autre partie de moi, attachée à ces deux personnages, arrive encore à croire qu'eux aussi ce sont attachés à moi, et que je pourrai leur apporter quelque chose de beau. Mais que choisiraient-ils ? La vie qu'ils ont attendu tant d'années avec Rainer ? Ou une vie paisible avec un français qu'ils sont initiés à haïr malgré tout ?

Je marche comme à mon habitude, accompagné de mon poulain Adam, qui garde un silence perturbant. Il sait que j'analyse chaque individu qui m'entoure, je les passe au crible rouge, afin de savoir qui m'a trahi. Celui qui est assez proche de moi pour savoir que l'existence de Wolfgang Freinhauer et celle de sa sœur m'importent plus que tout. Je soupçonne ce garçon d'avoir vendu la mèche aux soviétiques en échange d'une belle promotion. Je ne dirai rien jusqu'à en avoir la parfaite certitude. Je veux me venger, les venger. La vengeance n'est pas un plat qui se mange froid, mais brûlant, au point que chaque seconde sera un supplice. Celui qui m'a trahi, qui a osé mettre Elvire et son frère en danger, m'arracher la seule parcelle de bonheur de ma vie souffrira. Il souffrira jusqu'à ce que ces deux genoux soient au sol, me suppliant de le tuer d'une balle entre les deux yeux. Nous déambulons longuement jusqu'à ce que le jeunot me demande.

« Capitaine, vous savez la rumeur ?

– Il y en a tellement...

– Sur l'officier Pierre Desmond.

– C'est mon général, qu'a-t-il ?

– Il a mis enceinte une gamine.

– Était-elle consentante ?

– De ce qu'il se dit oui. Ce serait la petite Klara Klein, née en 1928.

– Je me moque pas mal de la vie intime de mon général, ai-je avoué. Tu devrais plus te consacrer sur ta propre carrière Adam, au lieu de te mêler de celle des autres. »

Il hoche la tête, ne voulant point me contrarier. Nous continuons à marcher, c'est alors que deux petits gars viennent à notre rencontre. Ils ont l'air en panique, dans une angoisse enfantine de vouloir bien faire. On attend qu'ils se calment tout seuls.

« Capitaine... soupire le plus maigrelet.

– Oui ?

– Une femme nous a chargé de vous donner une lettre.

– Avez-vous son identité ?

– Non, mais elle était jolie. Des cheveux blonds, avec des yeux verts.

– Donnez-la-moi. Vous pouvez disposer les jeunes, merci. »

J'indique aussi à Adam d'aller faire une ronde à Mitte, histoire de voir si Petrovitch se tient bien ou s'il compte me pourrir la vie jusqu'au bout. Il ne reste que moi, debout dans une rue lambda de Berlin, perché face à cette lettre. Instinctivement, je souris, comme un gamin. Peut-être est-ce Elvire ?

Capitaine Verneuil,

Je vous écris après trois semaines pour vous signaler, que ce soit mon frère ou moi, que nous nous portons bien. On se remet petit à petit de la violence des évènements dans ce fourgon, mais chaque jour depuis que nous sommes rentrés est une bénédiction. Nous profitons, Wolf et moi de se retrouver après tant de temps séparés car il lui restera des séquelles à vie. Alors pardonnez-nous de ne pas vous avoir donné de nouvelles pendant autant de temps. Mais je voulais vous remercier simplement, je sais que vous ne voulez pas que je le fasse mais mille merci. Même un merci ne suffirait à jamais à vous montrer ma reconnaissance. Ma reconnaissance pour avoir sauvé Wolf, d'être devenu son ami, son acolyte, son phare de lumière dans son existence obscure. Je suis persuadée que c'est pour vous qu'il a tenu, pour vous qu'il s'est battu, et pour vous qu'il a survécu pendant plus de cinq mois de torture. Là encore n'est pas le but de ma lettre. J'aimerais que vous me retrouviez le plus vite possible sur la grande place. Nous serons seuls. Mais je ne supporte plus de vivre dans l'obligation, je voudrais vivre de mes envies les plus sincères sans me soucier du lendemain.

Elvire Klein.

Je lâche un soupir. Je ne sais pas, est-ce un soupir de soulagement, un soupir de surprise, un soupir d'appréhension, peut-être même les trois à la fois ? Ses mots me semblent irréels. Je me réjouis d'abord. Ils vont bien, tous les deux. Ils sont vivants, et vu tout ce que Wolf a enduré pendant ces longs mois, c'est un des plus beaux cadeaux de ma vie. Je sais que son " contrat de travail " chez les russes a pris fin, ce qui fait enrager Petrovitch devenant spectateur du retour en force de son ancien prisonnier. Il pourra enfin le repos qu'il a tant mérité. Elvire aussi va bien. J'ai eu tellement peur. Les staliniens sont capables des pires horreurs, surtout envers les femmes qu'ils considèrent comme des créatures existantes juste pour assouvir les moindres désirs masculins.

Et cette proposition... A quoi rime-t-elle ? Est-ce une bonne chose ou une mauvaise, les deux probablement ?

N'oublie pas qu'elle est mariée. Qui te dit que Rainer est mort ? Qui te dit que tu n'es pas qu'un jouet ?

Trop enivré par cette envie de la retrouver, je balaye ces mauvaises pensées, me fichant totalement si ce que je fais est blasphématoire ou non. Les notions de bien et de mal ont été trop chamboulées pendant tant d'années... Les meurtres ont été justifiés, approuvés et proclamés en l'honneur du bien commun tandis que les actes de bravoure se sont vus souiller car considérés comme opposition à ce foutu bien commun. Aujourd'hui, je me moque pas mal de ce que la société pensera de moi.

Je me retiens de courir, trépignant d'impatience. Je ne réfléchis pas à ce qu'elle pourrait bien vouloir me dire. Je suis juste impatient de la voir. Peu importe ce qu'elle pourrait me dire, mon coeur battrait toujours à la même allure.


Revers de Médaille Où les histoires vivent. Découvrez maintenant