Chapitre 15 Antoine

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La fin de l'année 1946 ne se termine pas comme je l'aurais espéré. J'avais espéré faire voir à Elvire que nos sentiments sont réciproques et méritent approfondis, qu'elle veuille une idylle avec moi. Je n'aurais pas demandé la Lune, je n'aurais pas demandé la relation parfaite, je ne lui aurais pas demandé d'être comme ci ou comme ça. Juste d'être elle-même. Je lui aurais appris à revivre en tant que Femme, à combler le manque d'affection qu'elle a pu ressentir, je l'aurais désiré et aimé envers et contre tous. C'est ainsi, je respecte son choix d'attendre son époux, je le respecte et j'espère qu'il ne lui retombera pas dessus quand Klein reviendra.

Et je sais qu'il ne reviendra pas de si tôt. Je me suis renseigné dès que j'ai appris qu'il était encore en vie. Je sais qu'il est détenu dans les champs d'agriculture lillois. Rainer y a été enfermé après la libération de Paris en août 1944. De ce que mes sources m'ont dit, il participait à l'exécution des Résistants dans les combats de rue, et a été un des derniers à poser les armes forcé par son Colonel Krämmer, s'il ne l'aurait pas obligé à se rendre, l'époux d'Elvire serait mort, tué par les hommes de De Gaulle. Après quoi, l'allemand aurait été emprisonnés par des anglais avec 3 de ses congénères puis largué à Lille où d'autres de mes frères de sang auraient pris la relève. Cela fait déjà deux ans qu'il travaille dans l'agriculture, et du peu que je sais sur les conditions de détentions des Boches en France, ce n'est pas facile, loin de là. Je sais comment ils procèdent, ils s'assurent que nos camarades d'Outre-Rhin souffrent autant que ce qu'ils nous ont fait souffrir de 1940 à la Libération. Une rumeur court comme quoi les prisonniers allemands seraient probablement affranchis qu'à la fin de l'année 1948. Pour Elvire, deux années complètes condamnées à attendre son époux. Une partie de moi voudrait que la détention allemande dans mon pays dure plus longtemps, qu'elle dure au point que cette magnifique femme réalise qu'elle perd son temps et qu'elle vaut mieux que patienter après une relation qu'elle ne retrouvera jamais. Je ne peux pas être égoïste à ce point là, je dois respecter son choix.

En passant la porte du QG de la zone française à Stuttgart, je me retiens de rire, trouvant une irrésistible ironie à cette histoire. La première femme qui, inconsciemment, m'a fait découvrir ce que c'est d'avoir des sentiments est mariée, loyale aux valeurs du mariage, tellement loyale qu'elle ne veut pas explorer le peu qu'elle éprouve pour moi. Je salue mes supérieurs, avant de signaler mon arrivée à la secrétaire.

« Capitaine Antoine Verneuil.

– Vous avez une visite Capitaine, me dit-elle.

– Où dois-je me rendre ?

– Au bureau du Général Pierre Desmond. »

Je hoche la tête avant de monter les escaliers deux par deux. Mon officier supérieur a coupé tout lien avec cette jeune Klara, insistant sur le fait que personne ne saura l'existence de son bébé car jamais il ne reviendra sur Berlin. J'ai été témoin de la scène, il a dépassé les bornes. Je peux bien concevoir le fait que Desmond ne voulait pas d'enfant, encore moins d'une allemande, mais ce n'était pas une raison pour lui balancer les pires horreurs au visage. Elle attendait au moins un peu de compassion, un peu d'argent pour s'en sortir, un peu de présence paternelle pour le petit Johann. Rien de tout ça. La sœur Klein n'a reçu que mépris, arrogance, méchanceté, et insultes des plus injustes pour cette enfant qui ne demandait qu'à être considérée.

Je serpente au milieu des immenses couloirs gris bétonné, où chaque deux portes est planté un gardien, le visage neutre, attendant de guetter le moindre faux pas. J'arrive devant la magnifique porte en chêne massif, sculptée par des prisonniers Boches en une magnifique Marianne, pour rappeler que maintenant, c'est nous qui dirigeons.

« Rentre donc Antoine. »

La voix de mon général paraît remplie de méfiance et de haine. J'exécute, me retrouvant face à une haine digne d'un comique. Pierre accoudé sur son énorme bureau, un sourcil arqué observant son interlocuteur qui me tourne le dos. Je discerne sa grande silhouette, fine, élancée, toute en longueur. Il se tourne vers moi, ce qui me laisse voir son visage. Un visage très dur, aux traits marqués, un teint pâle accentué par une large mâchoire saillante et prononcée, dominée par un nez balafré, accompagné également par deux grandes prunelles bleu translucides et d'un crâne blond rasé. Il m'analyse longuement lui aussi, de haut en bas et de bas en haut.

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