Chapitre 2 Elvire

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11 novembre 1945.

Encore une date marquée par la honte et l'infamie, où le sang allemand a été versé plus que ce que l'Homme pourrait imaginer. Encore un motif valable pour que nous nourrissons une haine sans faille à nos ennemis d'Outre-Rhin, encore une fois où l'Allemagne est en deuil, où l'Allemagne se souvient de ses millions de morts morts pour son honneur. Peut-être, dans des siècles et des siècles, nous aurons nous aussi notre jour de gloire, peut-être eux aussi auront-ils un jour ou deux où ils se morfondront de honte. Peut-être qu'un jour les allemands ne seront plus vus comme des monstres, des parias, des parasites venimeux mortels qu'il faut impérativement éradiquer. Ce n'est pas pour aujourd'hui. C'est encore la même mentalité qu'il y a quelques mois, peut-être même en pire selon les points de vues. Le contrôle des Alliés sur la population se fait de plus en plus intense, voire invivable. A chaque sortie, angoisser de savoir si tous nos papiers sont en règle, de se dire que sur une saute d'humeur on peut se faire jeter en prison, même tuer sur le bas côté de la route ! Comment peuvent-ils faire subir cela à des innocents ? J'aurais beau épiloguer, je crois que cette torture ne finira pas. Les allemands réduits au silence, oubliés de la société, les parias de l'Europe, la colonisation de quatre puissances.

Alors je décide de rester chez moi, ou plutôt ce qu'il en reste. Après avoir encaissé des années de pluie d'obus, les infrastructures ne tiennent plus aussi bien, et s'effondrent même de temps à autre quand le vent se fait trop violent. On n'a clairement pas les moyens pour faire réparer, quand on voit qu'à chaque pâté de maisons il y a minimum trois marginaux. La vie devient un supplice.

« Elvire, regarde qui est là, soupire ma mère allongée sur le sofa.

- Qui ?

- Ton mari. »

Je regarde immédiatement dans sa direction, mais ne voit que le mur fissuré en deux. Je me retiens de ne pas exploser. Comment peut-elle me faire croire une chose pareille ? Je l'observe à nouveau, elle le pointe du toi avec un petit sourire.

« Maman, Rainer n'est plus là !

- Je te dis que si, il est vivant, il est vivant mais il est coincé. »

Je ne lui réponds pas, je veux bien qu'elle sombre un peu dans la démence, mais à ce point ! Elle était parfaitement lucide quand elle l'a vu partir en 1939, elle m'a consolé, épaulé, guidé quand je n'arrivais plus à rien, qu'il ne rentrait pas, et là, elle ose me faire croire à sa présence ! Je ne dis rien, je serre les poings et encaisse tout. Comme d'habitude.

« Elvire ? Insiste-t-elle.

- Oui Maman ?

- Que se passe-t-il dis moi.

- Disons que la situation est de pire en pire, ça n'affole personne.

- Explique moi.

- Je n'en sais rien Maman, je ne suis qu'une pouilleuse de Boche comme diraient les français, je ne sais rien de ce qu'il se passe réellement. Le procès de Nuremberg a commencé, Wolf me l'a dit et c'est bien pour cela qu'il est parti.

- Il va être jugé ?! S'insurge-t-elle comme si son fils était un ange.

- Comme tous les nazis sur le sol allemand, mais peut-être plus faiblement que les officiers.

- Seigneur... »

Ma mère garde le silence, voyant que je suis à cran. Je me poste devant la fenêtre, essayant de vider mon esprit de toute pensée et me dire que ce qui devait arriver arriva. Les nazis ont saigné à blanc toute l'Europe, même l'Allemagne a souffert du joug des chiens d'Hitler. Alors est-ce un revers de médaille ? Vont-ils nous faire souffrir à la même intensité que ce que nous avons fait souffrir ? Je me pose la question de savoir si cela prendra fin un jour.

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