Chapitre 8 Wolfgang

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« Mais c'est qu'il baisse pas les yeux le Boche ! »

Et en punition, me voilà fouetté 25 fois devant tous les autres officiers alliés et les travailleurs allemands. Je serre les dents, encaissant les coups moins bien que prévu. Je pousse un cri étouffé, sentant des morceaux de peau s'arracher, le sang chaud couler avec une lenteur aberrante. Le bourreau continue, riant face à son chef-d'œuvre, un art abstrait teinté de rouge vif sur une surface cabossée. Mes ongles s'enfoncent dans la paume de mes deux mains jusqu'à former un profond croissant de lune, mais je flanche pas, mes genoux se plient de temps à autre sans me laisser tomber. Je ne tomberai jamais de la main des russes. Plutôt mourir la tête haute face à eux que de me soumettre pour vivre. Le fouet d'abat de plus en plus vite et de plus en plus fort sur mon dos aux os saillants, faisant tomber le peu de chair restante. J'ignore le sentiment d'humiliation qui pince mon pauvre petit cœur, le flot de larmes menaçant de faillir à ma promesse, je hurle à l'intérieur de moi, la sueur dégouline sur mon visage, et tombe maladroitement sur le sol boueux. Je grince les dents, face à cette immonde sensation d'être pelé à vif, d'être l'élément d'une expérience médicale pour tester les capacités de résistance à la douleur d'un homme après avoir été affaibli.

Soudainement, des images terribles arrivent à mes yeux, que je ne peux discerner si elles font partie de la triste réalité ou si elles ne sont que le fruit de mon imagination d'aliéné.

Une femme, le visage inondé de larmes, hurlant mon prénom à tue-tête, à en perdre la voix. Elle a l'air de se débattre, elle est retenue par quatre ou cinq soldats alliés qui profitent de sa détresse pour laisser leurs mains se balader. Elle pleure, le souffle presque coupé par la douleur, j'essaie tant bien que mal de relever la tête, attaché et menotté comme un chien, pour voir qui elle est. Voir si je suis tellement à bout que j'espère qu'une femme viendrait m'aider, ou si c'est réellement le cas. Je n'ai qu'à poser mes yeux boursouflés sur sa magnifique chevelure dorée pour la reconnaître. Ma sœur. Elvire. Elle est là. Face à moi.

Mon cœur retrouve la force de battre à nouveau plus vite, mes poumons d'ingérer le plus d'air en voyant sa détresse, le visage des soldats qui la retiennent. Je secoue les chaînes maintenant mes poignets en l'air, d'une telle manière que j'ai frôlé le ressenti de Jésus Christ au Calvaire près de Jérusalem. Des soldats anglais viennent à moi.

« Pourquoi t'agites-tu ainsi ?

- Je... Ma sœur regardez-la !

- C'est parce qu'elle l'a vu se faire fouetter, ajoute un autre en riant.

- Et bien que veux-tu qu'on y fasse ?

- Laissez-moi aller la voir !

- Sûrement pas. »

Et sur ces mots, l'un d'eux presse alors son doigt sur une de mes plaies avant de s'en aller. Je suffoque, lutte désespérément pour ne pas céder et crier jusqu'à m'en casser la voix. Je regarde ma sœur, me pinçant les lèvres. Elle me regarde elle aussi, lassée de hurler, de pleurer, de m'appeler sachant que c'est probablement terminé pour moi. Je perds tout espoir de retrouver une vie libre, où je ne serai pas sous l'emprise des russes. Une vie où je pourrai respirer sans avoir l'impression de voler l'air à d'autres que j'envoyais à la mort. Une vie où je pourrai tout simplement être un homme. Juste un homme, pas un soldat à Hitler, pas un Capitaine, pas un prisonnier allemand. Juste un homme, j'ai l'impression de ne plus savoir l'être. J'essaie de garder mes yeux encrés dans ceux d'Elvire, rougis par les larmes et par la peur. J'essaie de lui transmettre un message par cet échange muet. De lui dire que tout ira bien, de ne pas s'inquiéter pour moi, de continuer à s'en sortir, de vivre comme si chaque instant était le dernier, et de ne pas me regarder comme une pauvre victime.

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