Chapitre 13 Elvire

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J'attends. Peut-être suis-je venue trop en avance ? Je n'en sais rien, je ne sais plus rien. Je suis juste perchée à la petite fontaine en pierres de la grande place, jouant avec les follicules de mes ongles, partagée entre deux opinions très distinctes. Pour être enfin honnête avec moi-même, je suis partagée depuis que j'ai fait la rencontre d'Antoine. Cet homme qui a bafoué son code d'honneur pour me nourrir, pour protéger mon frère, me protéger moi. Il sait que je suis mariée, que mon époux est perdu au fin fond de l'Europe et pourtant, sans jamais être intrusif, il a su. Le Capitaine Verneuil a su rallumer ce feu en moi, son regard me disait toujours que j'étais belle. Il a su éveiller en moi cette nuée de papillon à chaque fois que je le vois avec ses amis français.

Wolf m'a conseillé d'aller voir Antoine. Et je ne comprends pas pourquoi mon frère tient à ce point à ce que je m'ouvre à cet homme alors qu'il sait que Rainer est vivant. Il est quelque part, je ne sais où mais il est là. Je suis son épouse, je me dois de l'aider à revenir là où il a promis devant Dieu de toujours être, avec moi. S'il a mis autant de temps... Non, non, je ne peux pas penser à mon mari maintenant. Je ne suis pas là pour ça.

En attendant que le soldat français se pointe. Je pense à ces trois semaines. De très longues semaines. Je revois les larmes de choc de ma mère, que ce soit autant par la joie de retrouver son fils que par le bouleversement de le voir aussi mal en point. Elle l'a serré dans ses bras, toute tremblante, elle l'embrassait sur la joue, dans les cheveux, le frictionnait de sa bienveillance naturelle en clamant je ne sais quelles excuses. Petra culpabilisait de ne rien avoir pu faire pour aider son gamin. Rien qu'à repenser à ces retrouvailles, j'en ai le souffle coupé. Coupé par l'indifférence de Wolf, qui restait perché, neutre, ou alors joue-t-il parfaitement un double jeu ? Je ne sais pas. Mais j'ai eu la sale impression que plus jamais il ne ressentirait quoique ce soit, à part ses traumatismes chez les Russkofs. Sauf que j'ai vite compris que mon frère ne savait juste plus gérer ses émotions lorsque, toutes les nuits, il bataillait dans ses draps, hurle des " non " à répétition, pleure à en perdre la voix. Toutes les nuits, je vais dans sa chambre et le dorlote, comme je peux, jusqu'à ce que sa respiration sifflante devienne celle d'un bébé, jusqu'à la prochaine crise. Chaque fois que je lui caresse son visage pour qu'il s'endorme, j'espère secrètement que ses marques violacées disparaîtront pour que Wolf se reconstruise enfin en ayant une vie paisible telle qu'il mérite d'avoir.

Le crissement des bottes me ramène à la réalité. Mes pulsations cardiaques s'accélèrent, et mon subconscient hurle de faire face à celui qui se pointe. L'ange dans ma tête crie déjà victoire en s'imaginant que mon époux a finalement réussi à rentrer. Le diable, sur l'épaule gauche me chuchote à l'oreille que ce n'est que Antoine. L'homme qui m'a certes sauvé la vie moi et celle de mon frère, mais également celui qui je ne sais comment a réussi à me faire douter de ma loyauté et mon amour envers Rainer. Je dois le lui dire, c'est impératif, je ne veux pas être responsable de la souffrance de cet homme en sachant combien il compte pour mon frère.

« Elvire ? »

Antoine.

Je me redresse légèrement, la gorge nouée par un profond malaise. Je sens aux étoiles dans ses yeux gris qu'il a espoir. Espoir que je lui dise quelque chose de positif, ce quelque chose qui serait approuvé par Wolf, ce quelque chose qui rimerait simplement à la traîtrise de mes vœux de mariage. Je les ai déjà trahis rien qu'en pensant de trop à Antoine, mais j'arrête tout ici.

« Antoine, comment allez-vous ?

– Et bien... sourit-il. La lettre que vous m'avez envoyé m'a mis du baume au coeur.

– Oh... soupiré-je, soudainement remplie de culpabilité.

– Qu'aviez-vous à me dire pour avoir l'air si pressée de me voir ? »

Revers de Médaille Où les histoires vivent. Découvrez maintenant