Chapitre 24 Elvire

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14 novembre 1947.

La vie poursuit son cours. Voilà un peu plus de deux mois que ma mère a été marquée, et depuis, tout est d'un calme plat. Beaucoup trop plat, c'en devient étrange. Petrovitch a disparu de Berlin, mais je sais que lorsqu'il reviendra à la capitale, les Klein et les Freinhauer seront les premiers à être au courant. Ces quelques semaines sans lui représentent le calme avant d'affronter une énorme tempête dont je doute que mon frère soit capable de gérer, et surtout, d'anéantir.

Alors, en attendant, on se contente tous de vivre normalement, toujours sur nos gardes, attendant la moindre attaque du Russe. La seule chose de bien dans ce que fait mon frère, qui ne se retournera probablement jamais contre lui, c'est qu'il ne fait que se défendre apparemment, jamais il n'attaque si ce n'est pour se défendre lui et ses hommes.

Antoine est avec lui, jamais il ne lui arrivera quoique ce soit tant que le Français est là, me rappelle mon subconscient.

***

J'observe mon époux discuter avec le Colonel Krämmer, tous deux installés sur le canapé avec un verre de whisky entre les mains. Je me délecte de leur complicité, aux abords très professionnelle, mais lorsqu'on connaît ces hommes à la carrure de mastodonte, on se rend très vite compte qu'ils sont indissociables. Klaus Krämmer et Rainer Klein, l'un ne va pas sans l'autre. L'officier a tout appris à mon mari, je n'ai pas tout vu de leur relation. Assez pour me rappeler leurs grands sourires, leurs mains amicales sur les épaules, leur marche synchronisée pendant les défiles sous le IIIème Reich, leur aura quasi divine à chaque fois qu'ils passaient dans une rue. Mon époux connaît cet homme depuis les débuts d'Hitler, en 1923, il avait tout juste 12 ans quand le Colonel est entré dans sa vie. Il ne m'a jamais raconté précisément comment il s'était rencontrés, ni pourquoi il s'était autant attaché à Krämmer, je suis simplement consciente que Rainer le considère presque comme un père.

En m'activant au ménage dans la cuisine, j'écoute leur conversation passant de plaisanteries masculines à quelque chose de bien plus sérieux.

« Et donc, comprends-tu Klein, ce français est une menace pour votre nouvelle vie à Berlin.

– Pourquoi serait-il une menace ? »

Mon cœur s'emballe. Il n'y a pas deux français qui pourrait nuire à Rainer.

Antoine.

« Pourquoi serait-il une menace ? Répète mon mari. »

Je me paralyse et tombe un verre au sol, il éclate pitoyablement sur le carrelage. Je sursaute, non pas à cause du bruit aigu du récipient mais du regard digne de deux lances thermiques que me lance Krämmer. Il m'observe, ses prunelles bleues plus sombres que du goudron frais, la mâchoire serrée, quelques rides apparaissent sur son front, tout comme son sourcil légèrement arqué, qui m'indique qu'il a remarqué mon angoisse. Je n'ai jamais parlé de ma relation avec Antoine à qui que ce soit, il n'y a que mon frère qui soit au courant.

« Vous me paraissez soucieuse Madame Klein, vous vous inquiétez qu'un français puisse nuire à votre époux j'imagine ? Me demande-t-il, d'un ton ironique.

– Non, je rêvassais, je l'avoue, je n'ai pas même écouté votre conversation. »

Rainer me donne un sourire en retour, tandis que son acolyte reste de marbre, me fixant d'une telle intensité que je crains presque qu'il découvre tout ce que j'ai vécu avec ce soldat français. Évidemment, qui pourrait me croire à part mon pauvre époux qui ne sait pas quelle femme j'ai été pendant les huit dernières années de ma vie ?

« Je pense, reprend Krämmer, qu'on banalise beaucoup trop la tromperie.

– Que voulez-vous dire ? Demande Rainer.

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