Chapitre 33

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- Tu sais au moins où nous allons ? je demande, fatiguée de marcher sans savoir notre destination.

- Pour la huitième fois, répond Ulysse, nous sommes presque arrivés.

- Si c'est la huitième fois que tu nous dis ça, c'est que nous ne sommes pas presque arrivés, fais-je remarquer.

Cela fait je ne sais combien de temps que nous marchons dans cette même forêt noire. Les mêmes arbres défilent en boucle devant nous. Comment savoir si nous ne tournons pas en rond ?

- Je le sais, c'est tout, répond simplement notre guide.

Je frappe du pied un caillou qui passait par là, agacée. J'ai soudain une pensée pour Camille. Où peut-elle bien être ? Qu'est-ce que cette main peut bien lui faire subir ? Je préfère ne pas y penser. La réalité est peut-être trop violente.

Les garçons devant moi se regardent. Ils m'ont entendue penser mais semblent ne pas vouloir réagir à cette idée. Ne voulant plus y réfléchir, je décide de chasser cette pensée parasite de ma tête. D'autres pensées arrivent alors.

J'ai mal aux jambes.

Je me retourne alors et me rends compte que le sol est pentu. Nous sommes passés du sol plat de la forêt à une pente qui va en se redressant.

- Nous sommes en train de gravir la grande montagne qu'on voit depuis la vallée ? je m'exclame.

- Exact, dit Ulysse.

Je regarde devant. Au loin, à des kilomètres, se profile dans le ciel noir un sommet blanc recouvert de neiges éternelles.

- Tu te fous de ma gueule, je m'énerve, on est pas du tout presque arrivés, il va falloir des semaines pour aller là-haut !

- Mais pourquoi on s'emmerderait à aller au sommet ? demande Matthieu, amusé.

Ce n'est pas complètement faux ce qu'il raconte. Nous ne sommes pas dans un livre, dans une histoire, pas besoin de tout pousser au maximum ! Pourquoi aller au sommet obligatoirement, ce que nous cherchons est certainement bien moins haut.

- Cependant il faut quand même encore monter, souligne Ulysse. Au moins jusqu'à la neige, là-haut.

Il désigne alors de son maigre index une partie de la montagne blanche de neige, à tout de même quelques heures de marche au minimum.

- Ouais, on est clairement pas presque arrivés, là, fais-je remarquer.

- Ah mais sinon t'aurais jamais accepté de venir, me dit-il en souriant.

Une question me vient alors. Depuis combien de temps suis-je dans ce pays ? Quelques heures ? Ou est-ce que ça fait déjà quelques jours ? Voire quelques mois ? Voire...

- On ne pourra pas te répondre, dit Matthieu. Mais n'étant pas sûr de la réponse, j'éviterais d'y penser. La vérité serait peut-être dure à apprendre.

Son regard bleu se pare alors d'un voile de tristesse. Vais-je rester des années bloquée ici ? Quand je reviendrai, si encore je reviens ! la vie aura-t-elle continué sans moi ? Mes amis seront-ils devenus vieillards ? S'ils sont encore vivants ? Gabriel sera-t-il grignoté par les rides ? Son esprit sera-t-il dévoré par les années ? Saura-t-il encore qui je suis ?

Je sens alors une main se poser sur mon épaule. C'est Matthieu qui me regarde mélancoliquement et m'adresse un sourire triste en me murmurant :

- N'y pense pas.

Plus facile à dire qu'à faire, je pense.

- J'ai jamais dit le contraire, assure-t-il.

J'accélère le pas afin de le distancer.

Plusieurs heures passent dans le silence. Personne n'ose le briser. Les garçons ne peuvent savoir ce que je pense, puisque je ne pense même plus.

Le vent commence à souffler de plus en plus fort. La neige tombe et les flocons, voletant à toute vitesse, me lacèrent les joues telles de minuscules lames de rasoir gelées. Ulysse et Matthieu semblent n'être que de pâles silhouettes dans ce vent devenu blizzard.

Dans la vallée, le ciel était noir. Ici, tout est blanc de neige. Mes yeux se plissent, autant gênés par les flocons qui les irritent que par l'éblouissement. Je ne vois même plus les gars.

- Swan.

Je tourne brusquement la tête vers la droite. Je ne vois toujours rien, la visibilité est nulle à un mètre à peine. Mais quelqu'un m'a appelée.

- Swan.

Finalement, je préfère ne pas prêter l'attention à cet appel. De toute façon, ce n'est pas la chose la plus étrange que j'ai pu constater dans ce pays. Je retourne la tête afin de regarder devant moi.

Et là, à vingt centimètres à peine de mon nez, un autre visage me fixe de ses deux yeux noirs. C'est une adolescente de seize ans environ, qui fait ma taille. Ses épais cheveux châtains tirant vers le blond s'épandent autour de son visage pâle, se tordant dans d'épaisses boucles. Son nez pointu et rougi par le froid est sur le point de toucher le mien. Son regard renferme tous les ténèbres de la colère. Son ire semble sortir de ses pupilles sous forme de pics cherchant à me crever les yeux.

Je connais ce visage.

- Gwenaëlle, je dis simplement.

- Swan, répond-elle.

Elle n'a pas l'air de m'avoir entendue. Elle n'a même pas l'air de me voir. Toujours est-il qu'elle est en travers du fin chemin de montagne que j'aimerais parcourir. Gentiment, je pose une main sur son épaule gauche afin de l'inciter à se décaler.

- Excuse-moi, il faut que je passe.

Gwenaëlle saisit tout à coup mon poignet de sa main droite et le serre comme si elle souhaitait l'écraser. Elle a beau avoir de petites mains, elle a une sacrée force. Mais après tout ce que j'ai vécu dans ce monde, j'ai retenu la leçon. Gwenaëlle n'est qu'une image parmi tant d'autres dans ce pays, alors ce n'est pas elle qui va m'empêcher de rejoindre les garçons. Qui n'existent tout autant pas.

- Gwen, j'insiste, je sais pertinemment que tu n'existes pas. Lâche-moi maintenant, je dois avancer.

- Swan.

Elle serre plus fort. Je commence à avoir un peu mal, bien que sachant que cette douleur n'est qu'une illusion. Mais je m'impatiente.

- Gwen, s'il te plaît, dis-je en haussant la voix et en tirant mon bras vers moi.

- Swan. Tu m'as laissée dans mes larmes.

Sa voix tremblotante regorge d'une colère profonde.

- Que... comment ça ? je demande, déconcertée.

- Swan, répète-t-elle. Tu m'as laissée dans mes larmes.

- Bon désolée mais je dois y aller, je marmonne, feignant de ne pas avoir entendu.

- Swan. Tu m'as laissée dans mes larmes.

Elle serre toujours plus mon poignet.

- Swan. Tu m'as laissée dans mes larmes. Swan. Tu m'as laissée dans mes larmes. 

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⏰ Dernière mise à jour : 4 days ago ⏰

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