La Mélodie des Plumes - Tome 1

Chapitre 16 : Je suis plus près de toi que ce que tu ne crois

— Qui est Ludwygia ?

La question resta en suspens. Loëry ne chercha même pas à donner une réponse à son amie. Il se contenta de partir sans un mot. L'interrogation ne quitta pas les pensées d'Elune de toute la soirée. Lorsqu'elle retourna à sa chambre pour déposer le livre de légendes sur sa table de nuit, elle lui tournait encore en tête.

Il l'appelait toujours Lud. Il commettait toujours l'erreur, même après plusieurs cycles de lune. Si, au début, elle avait cru à une mauvaise mémoire des prénoms de sa part, à présent, le doute n'était plus permis. Il la prenait vraiment pour une autre. Tout ce qu'elle savait de cette personne était que Loëry la connaissait. Sans plus. Elune suspectait que l'inconnue lui ressemble. S'il les mélangeait autant, l'apparence devait jouer.

Elle laissa courir ses doigts sur son bureau. Dehors, il faisait déjà nuit et Orlyë avait repris ses tentatives. Elune nota tout de même une différence. Il avait abandonné son Artefact. Debout au milieu du cercle de pierres, il gardait les bras levés devant lui. Une aura bleutée l'entourait. Elune se figea. Il employait la fameuse troisième magie dont il avait fait la mention au premier jour. Un tiraillement la prit au creux du ventre lorsqu'un nuage se forma au-dessus de l'île. Elle voulait le rejoindre. Elle voulait l'aider. Tout son corps l'incitait à faire de même, à joindre ses forces aux siennes.

Elle se détourna dès que le nuage se dissipa sans avoir versé la moindre goutte. Que pouvait-elle faire ? Rien. Elle ne contrôlait pas ses émotions et encore moins son don. Il possédait un don originel. Elle n'avait qu'un don dérivé. Interférences ou pas, il était bien plus puissant et expérimenté. S'il ne trouvait pas une solution, ce ne serait pas une Maglienne inexpérimentée qui la lui apporterait. Pourrait-elle réellement créer un nuage de pluie suffisamment massif pour abreuver les terres eyliennes ? Le doute se ficha en son cœur comme la pointe d'une flèche empoisonnée. Elle ne pouvait rien faire. Elle ne savait rien faire. C'était presque à se demander ce qu'elle faisait sur l'île.

Son regard se perdit au loin dans les ténèbres. Avec le temps, elle en avait oublié ses amis : Kyosa, Eltio. Qu'étaient-ils devenus ? Plus de trois lunes avaient passé depuis l'accident. Trois cycles sans nouvelles. Loëry ne lui avait jamais rien dit. Elle n'avait plus demandé. Le pire avait pu arriver. La méconnaissance s'était transformée en un refuge salvateur. Si elle ne savait pas, la douleur ne pourrait pas l'atteindre. Le doute lui semblait alors moins difficile que la souffrance. A présent, la question revenait. Insidieux, le poison de l'absence revenait toujours à la. Mieux valait-il chercher la connaissance ou fermer les yeux ?

Ce soir-là encore, elle préféra repousser ses peurs pour retrouver sa sérénité. C'était ainsi qu'elle devait contrôler ses émotions. Garder tous sentiments et toutes peurs loin d'elle, enfermés dans un coffre ou scellés derrière une porte.

Pas de sentiments, pas de troubles.

L'absence de trouble permettait d'être lucide.

Et la lucidité permettait le contrôle.

La magie n'était absolument pas une question d'émotions mais d'absence de celles-ci. Feynor et le Maître du Temps en étaient la preuve. Et Loëry ? Il était toujours joyeux et détendu. A nouveau le doute s'insinua en elle. Non. Elle devait avoir mal prêté attention. Il n'y paraissait peut-être pas, mais il ne se servait sûrement pas d'émotions. Même si elle ne l'avait vu employer ses dons qu'une seule fois avec un sort et non un Artefact. C'était évident. Il lui suffisait de faire comme eux : renier tout sentiment et toute sensation qui viendrait à elle, même la plus agréable.

Le lendemain et au cours des jours suivants, ce fut la méthode qu'elle décida d'employer.

Ce fut d'abord un échec total. A peine pénétra-t-elle dans la petite bulle d'émotions qu'elle fut emportée. Elle rouvrit les yeux sur un Loëry détrempé. Dans sa tentative, elle avait encore déclenché un orage sur leur îlot sans le vouloir. Elle s'excusa, puis ils reprirent. Ils ne s'arrêtèrent que tard le soir. Elune, épuisée, ne parvenait plus à se concentrer. Fermer les yeux lui donnait plus envie de s'endormir que travailler. Loëry se retrouva forcé de la réveiller à plusieurs reprises. Au bout de la quatrième fois, il leva les mains en signe de capitulation.