La Mélodie des Plumes - Tome 1

Chapitre 2 : La Fête de la Réunion

Debout au bord du vide, Elune se figea. L'Île de l'Arbre n'en était pas une comme les autres. L'Arbre était l'île. Rien de plus. Aucun bloc de terre ou de roc ne lui permettait de prendre racine. Il flottait tout simplement dans les airs, immobile et pourtant majestueux. Son tronc était si large qu'Elune ne pouvait pas en faire le tour d'un regard. L'écorce brune et solide s'étirait de part et d'autre d'une immense fissure creusée à même le bois. Quelques ailés y pénétraient ou en sortaient.

Elune s'y risqua.

Ses doigts glissèrent sur la paroi rugueuse. Les imperfections se présentèrent à elle avec humilité sans chercher à se cacher. Le bois n'était pas lisse, loin de là. Chaque pli témoignait des ans passés. Chaque creux faisait écho à une intempérie traversée. Le moindre détail portait sa part d'histoire. Elune s'arrêta un instant devant une portion sombre du tronc qui détonnait du reste de la structure. Elle l'effleura. En cet endroit, l'écorce semblait plus fine, plus friable. Un morceau se transforma en poussière sous ses doigts. Dans un pincement au cœur, elle comprit qu'en ces lieux aussi la sécheresse se faisait ressentir. La fin de la saison des neiges et l'arrivée de celle des floraisons n'aiderait pas. Si le premier cycle lunaire de la saison des floraisons était connu pour être pluvieux, les autres seraient arides et destructeurs.

Elune finit de traverser la fissure et leva les yeux guettant les nuages.

Son cœur manqua un battement.

L'intérieur du tronc était entièrement creusé. Seule l'écorce extérieure demeurait. Des terrasses aménagées à toutes les hauteurs formaient une spirale ascendante. Ailés et familiers circulaient de l'une à l'autre sans difficulté. Certains empruntaient la voie des airs, d'autres les escaliers taillés à même le bois. Des centaines et des centaines de personnes entraient par la cime de l'arbre dont les branches centrales avaient été retirées. Un espace circulaire vide avait même été pratiqué en son faîte pour laisser les ailés pénétrer dans le tronc.

Tous les peuples s'étaient rassemblés pour fêter la Réunion. Ces festivités marquaient le passage de la saison des neiges à celle des floraisons. Elles symbolisaient le retour de la lumière et de la chaleur. Pour l'occasion, des guirlandes de fleurs confectionnées par les plus jeunes avaient été suspendues un peu partout.

Un être ailé passa non loin d'Elune manquant de la renverser. Elle vit aussitôt qu'il était Sylivien. Ce peuple-là se démarquait facilement des autres par leur apparence et leurs familiers. Ils étaient très petits et d'une agilité sans pareille. Leur peau mate les rendait encore plus discrets dans des décors boisés comme ceux qui garnissaient leur territoire. Malgré leur faible longévité, ils ne vivaient qu'une cinquantaine d'année et étaient les seuls à pouvoir posséder des oiseaux comme familiers. De mémoire d'ailé, les Syliviens se liaient toujours à un animal volant. Celui qui venait de la bousculer volait d'ailleurs aux côtés d'un hibou qui ne cessait d'hululer.

— Vire-toi du milieu la petite, grogna un autre Sylivien en surgissant de la fissure.

Elune s'écarta prestement.

Une suite de Syliviens jaillit alors de la faille et s'envola vers les cieux. Elune ne put s'empêcher de contempler le ballet aérien qui s'offrait à elle. Le tronc entier se remplissait d'êtres aux immenses ailes blanches d'une pureté éclatante. Des oiseaux traversaient l'esplanade pour venir se percher sur l'épaule de leur partenaire ou se faufiler dans un trou pour s'y cacher.

— Ah ! te voilà ! Je commençais à me demander où tu étais ! s'exclama Kyosa en atterrissant avec grâce.

Autour de son cou, sa loutre poussa un petit cri d'approbation.

— Tu vois, même Lutrinaë est d'accord avec moi.

Ses ailes se fondèrent dans son dos, puis elle s'empara de la main d'Elune et l'attira à elle.