La Mélodie des Plumes - Tome 1

Chapitre 37 : L'Île bleue

La soirée fut calme et la nuit reposante. Ania et Taël se montrèrent si attentionnés que, lorsqu'elle reprit la route au matin, Elune eut un léger pincement au cœur. Depuis l'incendie et la découverte de son don, jamais personne ne l'avait accueillie avec autant de gentillesse. Était-ce ça le sens du mot ''famille'' dont parlaient les Zohaliats et les Syliviens ?

Alors qu'elle les saluait, Taël la prit par les épaules et planta ses yeux noirs dans les siens. Ses mains tremblaient. Ses jambes étaient raides. Lorsqu'il prit la parole, sa voix râpeuse était précipitée et hachée.

— Cette nuit-là... Celle de l'incendie... Il y avait quelque chose d'étrange. J'ai déjà aidé à éteindre des départs de feu. Je sais comment il faut s'y prendre. Les ailés qui ont tenté d'éteindre le feu cette nuit-là s'y sont pris parfaitement bien, mais ça n'a pas eu d'effet. Les seaux d'eau qu'ils versaient n'éteignaient aucune flamme. Ce n'est que la pluie d'Orlyë qui a mis fin à ce désastre. Cette nuit-là, répéta-t-il. Cette nuit-là, le feu n'était pas normal.

Il fit non de la tête comme pour appuyer ses propos.

— Pas normal du tout.

Elune baissa la tête et plaça sa main droite au niveau de son cœur, paume légèrement tournée vers l'extérieur. Du même temps, elle posa deux doigts sur ses lèvres et plia un peu son genou gauche et glissa son pied gauche derrière son pied droit, la plante du pied levée vers le ciel. Taël lui rendit son salut. C'était le signe de remerciement le plus poli et le plus profond qu'elle connaissait. Il allait au-delà de la barrière des mots et exprimait tout ce que la langue ne pouvait retranscrire correctement. Elle ne se souvenait pas exactement de la signification de chaque geste, mais les doigts sur les lèvres représentaient le silence qui avait précédé le chant d'Oréade et Napë. La paume ouverte symbolisait l'écoute de la musique qui se trouvait dans le cœur de chaque ailé.

Ce fut sur cette échange qu'elle quitta l'ancien conseiller et Ania avec la désagréable impression qu'elle ne les reverrait plus. Après une vérification de l'heure, Elune prit son cap vers sa nouvelle destination : l'Île bleue.

Grâce aux bandages propres de rechange fournis par Taël et Ania, ce voyage fut bien moins ardu que le premier. Elune dû malgré tout se reposer à deux reprises, ses mains la brûlant au plus haut point. Après une heure et un tiers de marche, un trio d'Eyliens la survola et l'interpella. Leurs bras étaient tous frappés de la marque des Gardiens de l'Equilibre. Elune siffla Kahen qui s'éloigna en volant avant que le trio ne l'aperçoive.

— Vous allez où ?

— A l'Île bleue, répondit-elle dans un sourire forcé.

— A pied et sans votre familier ?

Elune tressaillit.

— Je... J'aime bien marcher par moment quand je suis fatiguée de voler. Et ça permet à mon familier de se dégourdir les pattes.

— Quel type de familier ? reprit l'Eylien d'une voix sèche.

— Un lapin de l'Est, répondit-elle après un instant d'hésitation.

— Les petits à poils marron clair ? Ils sont si mignons, lâcha un autre la bouche en cœur.

— Dommage qu'ils aient cette fâcheuse tendance à creuser des trous partout, répliqua ironiquement sa voisine, un lourd panier de victuailles dans les bras.

— Bien, reprit le premier. Vous pouvez y aller. Si vous voulez joindre les Gardiens de l'Equilibre, nous sommes sur l'île de la Fontaine des Mélodies. Donnez le nom de Sayan si besoin. Ils viendront me chercher. Sur ce, bonne route.