La Mélodie des Plumes - Tome 1

Chapitre 38 : La légende du Royaume d'Alkar

— Le passage que je vais vous raconter se passe bien après l'apparition des premiers ailés. En ce temps-là, Eyliens, Zohaliats et Syliviens se faisaient la guerre et les phénix éclairaient encore le ciel de leur feu. Devant l'immense pouvoir que les phénix détenaient entre leurs serres, les ailés formèrent une alliance temporaire et se mirent en tête d'éradiquer ceux qui les empêchaient de dominer les îles. Ce rapprochement donna lieu à des liaisons, pourtant interdites, entre ailés de peuples différents. Mais ces liens ne firent que décimer tous ceux qui s'étaient risqués à refuser d'obéir aux lois prescrites, car si un œuf naît de l'union de deux personnes de peuples étrangers, cette union consume la vie des deux parents.

Quelques enfants poussèrent un cri. D'autres plaquèrent une main sur leur bouche.

— De tous les œufs interdits, un seul parvint à éclore : le premier enfant né d'une union prohibée. A la fois Eylien et Sylivien, il grandit rejeté de tous. Il était un hybride, un monstre aux yeux des autres enfants. Mais un jour, alors qu'il approchait de la trentaine, un commando de force eyliennes et syliviennes pourchassa un phénix jusqu'à l'île où il se trouvait. Blessé gravement, l'animal s'écrasa devant le jeune homme, à la merci des ailés. Ceux-ci s'apprêtaient à l'achever, mais le jeune homme s'interposa. Cet acte de bravoure créa un lien entre le phénix et lui. Le phénix devint son familier.

— Et les ailés ?

— Eliminer les phénix était leur mission la plus importante, mais de tout ce qui existe sur nos terres, il existe une loi qu'on ne peut transgresser. Tuer volontairement un familier est un acte abject interdit par les trois peuples. Le commando fut forcé de battre en retraite et laisser, à contrecœur, le phénix en vie. Le nouveau binôme eut droit à quelques lunes de tranquillité pendant que les gouvernements se réunissaient pour décider de la démarche à suivre. Entre temps, le lien qui unissait le phénix à l'ailé ne fit que se renforcer, à tel point qu'un lien télépathique se créa entre eux. Le phénix expliqua alors à l'ailé la raison de leur présence et la mission qui était la leur.

— Ils avaient une mission ? lâcha un des enfants surprit.

— Elle vient de le dire, grommela un autre.

— Chut ! râlèrent trois autres enfants de manière parfaitement discrète.

— Il incombait aux phénix de maintenir l'équilibre sur les îles. Ils symbolisaient cet équilibre en ayant à la fois un corps physique et un esprit. Leur soumission au temps qui s'écoule perfectionnait cette délicate balance. Et en éliminant les phénix, les ailés brisaient cet équilibre.

— Mais un phénix ne renaît pas de ses cendres ?

— Non. Enfin, il faut qu'un phénix soit un familier pour qu'il puisse renaître. Sinon, sa première mort est définitive. De plus, les œufs de phénix étaient rarissimes et mettaient beaucoup de temps à éclore. Face au risque d'extinction des phénix et la destruction de nos terres, le seul phénix devenu un familier eut une idée. Il décida de partager à son partenaire le savoir et le pouvoir détenu par les siens pour qu'en cas de catastrophe, leur héritage ne s'éteigne pas. Tous les phénix survivants se réunirent donc et confectionnèrent un objet très particulier : un Artefact. Le premier de tous. Alors qu'aujourd'hui les Artefacts des Magliens ne comportent aucune magie et servent simplement de catalyseur, celui-ci contenait de la magie. Et lorsque le jeune homme, l'hybride, s'en empara, la magie quitta l'objet et se déversa en lui. Il devint alors le premier Maglien.

Aknaël marqua une pause. Dans la salle, pas un enfant n'osa faire de commentaire. Seul le feu continuait de crépiter doucement dans l'âtre. Sa chaleur réchauffait les murs de pierre rendus glacés par la saison des neiges. Une fillette resserra sa couverture sur ses épaules. Elle frissonnait. Sa voisine ronflait doucement, un filet de bave coulant de sa bouche. Oltër quitta le coin du feu où il écoutait sa femme, un sourire amusé sur les lèvres et s'assit aux côtés de la fillette frigorifiée. Il retira sa veste et la posa sur son dos. Puis il prit l'enfant endormie dans ses bras et l'emporta vers les escaliers pour la coucher. Aknaël attendit que le son étouffé de ses pas sur les marches disparaisse totalement pour poursuivre son histoire.