Enchaînée à un anneau fiché au fond du bassin de la Fontaine et le cou toujours enserré dans le cuir, Elune laissa l'eau glacée mordre sa blessure et anesthésier la douleur. Son estomac gronda réclamant sa pitance. Elune referma ses bras autour de son ventre pour en étouffer les plaintes. Ses vêtements trempés l'alourdissait et rendait épuisant chacun de ses mouvements. Elle grelottait, mais son geôlier, Zafar, refusait de la laisser sortir du bassin. Juste avant de partir, Ylkad lui avait donné pour seule consigne de la maintenir en vie. L'obliger à rester dans l'eau pour désinfecter sa brûlure était vraisemblablement l'interprétation qu'il en avait eu. Elune le suspectait d'en profiter pour se venger. Après tout, elle lui avait filé entre les doigts sur l'Île des moissons après avoir électrocuté son complice.
A bout de force, Elune s'adossa au bord de la vasque, en prenant soin de ne pas laisser sa blessure entrer en contact avec la pierre, et tenta de dormir. Habituée aux nuits chaudes des dernières lunes, les heures passées dans le froid eurent raison de sa résistance, elle somnola tout juste. La gorge sèche, elle dut se faire violence pour ne pas toucher à l'eau qui l'environnait. Boire l'eau de la Fontaine était interdit.
La musique de la Fontaine continuait de l'envelopper. Dès l'instant où Ylkad avait traîné Elune dans le bassin, les tons doux et rassurants avaient laissé place à une mélodie lancinante. Elle allait et venait dans la cavité au rythme sourd d'un tambour. A chaque battement, l'eau de la Fontaine tremblait comme en écho à la marche funèbre qui se jouait. Le son d'un cor ricochait entre les stalactites, cri de souffrance capturé par la grotte. La lueur diffusée par les pierres bleutées incrustées dans les concrétions des parois faiblissait.
La langue râpeuse, Elune se força à lever la tête pour ne pas être tentée de boire l'eau. Zafar l'observait, un sourire narquois sur les lèvres. Il se repaissait de sa souffrance. Combien d'Eyliens comme lui avaient oublié l'importance de la Fontaine ? La musique était-elle vraiment la clé comme le défendait Dusane ? La mélodie continuait de résonner dans la cavité comme une plainte inexprimée et gardée secrète pendant des années. Elune étouffa un cri de douleur lorsque son omoplate toucha la pierre. Là où le fer l'avait marquée, sa peau virait au blanc pâle. Des cloques blanchâtres se formaient. Du bout des doigts, Elune vérifia l'état de la plaie. La lésion n'était pas douloureuse. Elune put entièrement poser ses doigts dessus sans ressentir quoi que ce soit. C'était comme toucher un corps étranger. Elle serra néanmoins les dents lorsqu'elle effleura les pourtours de la brûlure et ôta sa main.
Son regard tomba à nouveau sur l'eau qui l'entourait. La tête lui tournait. Une nausée de plus en plus forte la taraudait. Les lèvres scellées, elle ferma les yeux. Dormir l'aiderait sans doute à ignorer l'appel insistant de son corps. Elle ne pouvait pas se permettre de profaner encore plus ce lieu. Sa gorge sèche l'empêcha de trouver le sommeil. Sa respiration devint erratique et difficile. Elle déglutissait mais plus aucune salive ne venait tromper son esprit. Incapable de résister plus longtemps, elle prit de l'eau en coupe et porta le liquide à ses lèvres. L'eau glacée coula le long de sa gorge comme une délivrance. Elune prit une grande inspiration. Elle en voulait plus. N'en pouvant plus, elle s'agenouilla et se mit à boire goulûment. Ce ne fut qu'une fois remise qu'elle réalisa son geste. Horrifiée, elle frotta ses mains contre les parois sèches comme si ce simple geste pouvait effacer son acte.
Des larmes dévalèrent le long de ses joues. Tout était fini. Elle ne pouvait pas tomber plus bas. Elle plaqua ses mains sur ses oreilles. Une musique dissonante parcourait la cavité et venait la percuter. Chaque note déchirante était un pic glacé enfoncé dans sa peau à vif. Chaque faux accord avait la noirceur d'un soupir haineux et le venin insidieux d'un scornië. Harassée de fatigue, Elune finit par s'endormir.
— Elune, debout.
L'intéressée ouvrit difficilement les yeux. Elle se trouvait allongée à même le sol à côté du bassin. Assise sur le plus gros débris de ce qui avait été un piédestal, Dusane la contemplait, la poignée de la chaîne en main. Zafar était parti. Dusane jeta un robe bleu nuit à ses pieds.
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La Mélodie des Plumes - Tome 1
FantasySur les terres eyliennes, seule la mort attend ceux qui ne peuvent pas voler. Née sans ailes, Elune est donc condamnée. Mais lorsqu'une sécheresse sans précédent se déclare et que tout ce qu'elle connaît part en fumée, Elune se retrouve coincée ent...