Orlyë

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Destinataire : Ithilniría, Palais zohaliat

Expéditeur : Orlyë, Île des Pierres

1er jour de la 6ème lune de l'An 4124 du Nouveau Calendrier

Híril Ithilniría,

Cette lettre qui vous est destinée est écrite à la lueur d'une chandelle alors que la pleine lune resplendit dans le ciel. Je sais combien cette nuit est sacrée à vos yeux, mais après deux lunes et demie de silence, je ne peux pas me permettre d'attendre un jour de plus.

Un peu plus tôt dans la soirée, Admar s'est rendu sur l'Île des Pierres. J'ai d'abord cru qu'il venait pour le portail. Il n'en était rien. Il a réitéré sa proposition de devenir mon successeur temporaire afin d'éviter que la Branche du Temps ne s'éteigne. Cela va sans dire, j'ai refusé. J'en ai profité pour lui rappeler qu'il était mal placé pour parler de succession quand on sait à qui appartient l'aquila nathía qui survole marché depuis plus d'une lune. Il y a de cela deux semaines, j'ai envoyé une lettre au président sylivien pour qu'il ordonne à ses Magliens de se retirer. Son silence obstiné ainsi que les évènements qui ont secoué la Fête des Plumes ne laissent aucun doute sur ses intentions. Un Maglien de l'Esprit s'est servi de son don pour renforcer l'influence d'Ylkad et de ses sbires. Le Conseil eylien tente bien de rétablir le calme mais son autorité s'étiole. Elle n'est plus qu'une note solitaire sur une partition que le Conseil ne sait pas déchiffrer. Il ne reste plus qu'à déterminer qui est le chef d'orchestre : Admar ou le bras droit du président sylivien ? Impossible de le deviner avec autant de Magliens de l'Esprit présents sur nos îles.

Je crains que la situation soit plus complexe que prévue. Il suffit de voir qui se tenait aux côtés d'Elune lorsqu'elle est revenue sur l'Île des Pierres. Grande, yeux bleus et des cheveux roux qui jurent avec les standards génétiques zohaliats. Vous savez de qui je parle. Sa sœur d'œuf et elle ont un don pour déterrer les secrets les mieux enfouis. Elune ne savait pas qu'Admar serait présent. Lucya a feint l'étonnement, mais j'ai vu clair dans son jeu. Pour une fois, j'apprécie le geste d'Admar. Effacer de sa mémoire la conversation qu'elle a surprise était un moindre mal.

Inutile de vous jeter sur votre plume pour me demander la teneur de cette discussion, mi Híril. Vous connaissez déjà la réponse. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'Admar n'apprenne pour l'herdin. Il ne s'est pas perdu en élucubrations. Il savait. S'il ose venir m'en parler, cela ne signifie qu'une chose : cette information est en sa possession depuis très longtemps. Il n'est pas le seul à l'avoir compris d'ailleurs. Le président sylivien n'enverrait pas ses Magliens sur nos terres s'il ne le savait pas. Elune a aussi mis son doigt dessus. J'ai vu Lucya lui glisser un mot avant de partir. L'étau se resserre. Je suis désormais le seul à posséder le nom de cet herdin. Pour sa sécurité, je ne peux pas vous le dire.

Je suis seul face à un choix impossible. Cet enfant n'est pas le monstre que je pensais être. Il est tout ce qui me reste d'humanité. Dois-je le sacrifier ? Je peux tout aussi bien me retirer et laisser ma charge entre ses mains. Mais cela signifierait laisser la porte ouverte à Admar et à sa folle quête pour reforger le diamant primitif, l'Artefact d'Istler. Je m'étais promit de ne jamais le laisser être réparé. Il ne reste qu'une dernière possibilité et la seule solution envisageable : laisser les Eyliens dépérir.

Prenez-moi au mot, mi Híril, je préfèrerais voir brûler les descendants de ceux qui ont trahit Istler plutôt que d'éliminer la seule note d'espoir qu'il me reste.

Que la musique vous préserve et illumine votre cœur,

Orlyë, Maître du Temps

La Mélodie des Plumes - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant