Orlyë

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Destinataire : Ithilniría, Palais zohaliat

Expéditeur : Orlyë, Île des Pierres

17ème jour de la 3ème lune de l'An 4124 du Nouveau Calendrier

Híril Ithilniría,

Si je vous envoie cette lettre après plus de deux lunes de silence, ce n'est que pour exprimer une colère sourde et un désarroi profond.

Voilà deux lunes aussi que j'ai reçu les documents provenant de vos archives publiques. Je tiens à souligner qu'il était tout à votre honneur d'y joindre un rouleau de traduction, mais je crains qu'il n'ait pas été de la plus grande utilité. Je n'ai certes pas eu l'usage des symboles lunaires depuis de longues années, mais ma mémoire est restée intacte. Après avoir parcouru les textes ainsi que les témoignages de vos ancêtres au sujet des interférences, je me dois d'accepter l'évidence. Evidence que j'aurais dû remarquer plus tôt. Rares sont les mots qui sont identiques en Ancien Langage et en langue lunaire. Le terme herdin en fait partie.

Je sais combien cette information est sensible, mais je tenais à être franc avec vous. Moi qui pensais que les esprits d'Oréade et de Napë avaient puni mon erreur et avaient annihilé cet être, qui n'aurait jamais dû exister, je me suis lourdement trompé. Je me retrouve avec ce fardeau et une unique porte de sortie que j'emprunterais sans la moindre hésitation.

Car sachez que si je viens tout juste d'apprendre l'existence de cet herdin, cela n'est pas réciproque. Il sait pertinemment ce qu'il est et ce que sa vie signifie. Chaque nuit je le sens. Il m'observe sans jamais se montrer. Il me laisse à mes essais condamnés à être infructueux. Il se délecte de la situation et en joue. Il y a une semaine, il s'est même servit d'une de mes élèves comme appât. Cette inconsciente est sortie pendant la nuit. L'herdin a déclenché une bruine pour l'attirer. Lorsque je suis arrivé, il était encore dans les parages. Je pouvais sentir les émanations de son pouvoir envahir tout le cercle de pierres. Je l'ai entendu. J'ai vu son ombre. Evidemment, il avait tout prévu. Ferni, le familier de Feynor, s'était échappé. Il a servi de diversion, j'en suis certain.

Le temps presse. Le Conseil eylien actuel est d'une incompétence rare, mais pour une fois c'est à mon avantage. Je préfère garder au plus loin une bande de politiciens incapables de comprendre. Dans le cas où ils auraient oublié de vous remercier pour l'aide que votre peuple apporte, je m'en charge. Je sais combien, en cette saison, l'eau est une ressource précieuse pour les Zohaliats. Et si les quantités que vous nous envoyez sont loin d'être suffisantes, elles sont inestimables.

Mais je m'égare, mi Híril. Si je vous envoie cette lettre, c'est pour porter à l'écrit une promesse. Jamais je n'accepterais d'aider Maître Admar dans sa folle quête pour restaurer le Diamant Primitif. Tant que je serais en vie, son projet ne verra jamais le jour. Je m'engage ainsi devant vous et devant l'ascendance lunaire que vous portez. Je trouverais et tuerais l'herdin afin de restaurer l'Equilibre et de reprendre mon pouvoir. Et si cet être venait à m'échapper, je préfèrerais mille fois laisser mourir le peuple eylien plutôt que de laisser un autre prendre mon pouvoir et ma vie.

Vous me conseilleriez sans doute de ne pas faire de telles promesses, mais il faut croire que la fin justifie les moyens. Voilà bien la seule chose sur laquelle Maître Admar et moi tombons d'accord.

Que la musique vous préserve et illumine votre cœur,

Orlyë, Maître du Temps

La Mélodie des Plumes - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant