Chapitre 23 : La Fête des Plumes

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Des flammes.

Une mer enflammée.

Des tourbillons brûlants.

Et au cœur de tout ça apparut une plume blanche.

Un souffle rafraîchissant la fit trembler.

Des mots se formèrent dans la brise.

Elunë rë ferni.

— Eh ! Debout ! Le Maître t'attend !

La voix irritée de Feynor tira Elune du sommeil. La porte claqua. Depuis l'accident du portail, une lune auparavant, il était devenu encore plus exécrable. Dès qu'il en avait la possibilité, il lui rendait la vie impossible. Plus d'une fois, elle avait trouvé sa chambre sans-dessus-dessous. Tant qu'elle n'apprenait pas à se servir de son don, il s'était contenté de se montrer glacial. A présent, seule la présence du Maître du Temps l'empêchait de s'en prendre directement à elle.

Elune passa un doigt sur sa paume gauche. La blessure due à sa chute s'était refermée. Le fin trait blanc qui marquait sa peau finissait tout juste de s'estomper. Après l'avoir aidé à regagner l'île, Loëry avait remarqué son pansement de fortune, mais Elune avait tenu à nettoyer la plaie elle-même. Elle ne lui avait jamais parlé de la marque en forme de plume qui ornait sa paume et elle ne comptait pas lui montrer.

En se préparant en vitesse, Elune nota que les manches de sa chemise commençaient à être trop courtes. Sans raison apparente d'ailleurs, elle n'avait pas l'impression d'avoir grandie. Et de toute manière, la croissance des Eyliens s'arrêtait à quinze ans. A dix-sept ans, elle ne pouvait plus grandir. C'était impossible. Elune tira un peu sur ses manches, déjà bien trop étirées, avant d'attraper sa flûte et son livret de partitions.

Ce fut le ventre vide qu'elle entama le cours du jour. Après avoir accordé en vitesse sa flûte, Orlyë lui rabâcha les oreilles à propos de la manière dont elle devait employer son instrument. Il ne s'agissait pas simplement de jouer un morceau lent et doux pour qu'il pleuve. Il fallait y mettre de l'émotion. Selon ses dires, même le morceau le plus vif et le plus endiablé pouvait permettre de créer une légère brise. Sa mission du jour était justement de faire naître un léger vent sur l'île, de le faire tournoyer trois fois autour du cercle de pierre, où se déroulaient chacune de leurs leçons, puis de le laisser se dissiper. Assise en tailleur dans l'herbe jaunie, Elune entama son morceau et se laissa emporter par la mélodie.

Orlyë n'attendait pas de résultat dès les premières notes, ce bref instant était donc son moment de liberté. Ses yeux étaient fermés, pourtant, jamais elle n'avait aussi bien vu. Les notes qui s'échappaient de son instrument lui montraient les plus infimes détails : une craquelure sur le mur de la maison, un frétillement dans les branches d'un arbre, les couleurs chatoyantes du plumage d'un oiseau au fond de son nid.

Doucement, Elune bougea ses doigts sur les clés. La mélodie changea. Le son se mua en force, et de celle-ci naquit une brise. Un léger souffle presque imperceptible auquel la flutiste donna de la puissance. Le courant d'air se mit à tournoyer autour d'elle, rafraîchit l'air déjà brûlant malgré l'heure peu avancée et fit se balancer ses cheveux. Puis, le souffle tournoya autour du cercle de pierres.

Un tour.

Deux tours.

Trois tours.

Elune cessa de jouer.

Quatre tours.

Cinq tours.

Elle se concentra sur ses émotions. Son cœur battait calmement dans sa poitrine. Ses épaules étaient détendues. Pas une once de peur ne l'étreignait.

La Mélodie des Plumes - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant