La Mélodie des Plumes - Tome 1

Chapitre 49 : Les poussières du Temps

Les Eyliens déferlèrent sur Orlyë. La lumière bleutée se concentra entre ses paumes. Le ciel s'assombrit et se couvrit de nuages. Un éclair tomba droit sur un ailé trop aventureux. Deux autres le suivirent dans la mort. Le tonnerre gronda. Le ciel demeura sec. S'il le souhaitait, Orlyë pourrait faire tomber la pluie tant attendue par les Eyliens. Il n'en faisait rien. De toute évidence, il comptait les faire payer. Une bourrasque balaya l'île et envoya valser les ailés comme des fétus de paille. Emportés par le vent, certains basculèrent d'en le vide et n'en remontèrent pas.

— Encerclez-le ! s'égosilla Ylkad. Il est seul !

Ses sbires s'exécutèrent. Orlyë les laissa faire. Une fois encerclé par une armée d'Eyliens en colère, il déchaîna son don. Autour de lui, les cadavres se décomposèrent en une poignée de secondes. L'herbe, gardée verte par les soins de Feynor, jaunit puis se transforma en poussière. Les ailés fondirent sur le Maître du Temps. Les premières lignes partirent en poussières. Les Eyliens en deuxième ligne s'arrêtèrent. Leur visage venait de se flétrir et de se couvrir de rides. Leurs mains auparavant jeunes et vigoureuses, tremblèrent et perdirent de leur force.

Un mouvement de panique parcourut les rangs des alliés d'Ylkad. A la place des plus rapides et des plus forts, il ne restait qu'une nuée de poussière qui se dispersait dans le vent. Orlyë écarta les bras. La lueur autour de lui s'accrut. Comme bercé par une musique que lui seul entendait, il se balança d'un pied sur l'autre la tête levée vers le ciel. Les Eyliens se ressaisirent. Leurs familiers se rangèrent à leurs côtés, griffes et crocs sortis. Ils repartirent à l'assaut.

Une nouvelle vague d'ailés partirent en poussière. Une autre s'effondra, terrassée par une vieillesse prématurée. Les éclairs continuaient de tomber. A chaque impact, des mottes de terres giclaient en tous sens.

Les oreilles assourdies par le tonnerre et les cris, Elune plaqua ses mains sur ses oreilles. Cela n'eut pour effet que d'assourdir le son. A une vingtaine de yoltas d'elle, Orlyë opérait à un massacre sans merci. A peine consciente, Elune assistait impuissante à l'anéantissement d'une partie du peuple qu'elle avait tenté de sauver. Aveuglé par sa colère, Orlyë ne laissait rien traîner. Si un Eylien s'approchait trop de lui, il partait en poussières ou était frappé d'un éclair. Par moments, lorsque submergé par le nombre d'ennemis, Orlyë se sentait acculé, une bourrasque balayait l'île et dispersait ses assaillants.

Elune se releva. Chancelante, elle s'appuya contre le mur de la bâtisse. Admar lui proposa son aide. Elle déclina l'offre. Certes elle avait confié son don à Orlyë sans poser de conditions, mais elle ne pouvait pas le laisser poursuivre ainsi. Kahen jaillit de nulle part - où était-il parti d'ailleurs ? – et virevolta autour de sa tête dans un concert de pépiements inquiets.

— Je sais, Kahen. Je sais, fit-elle d'une voix tremblotante. J'y vais.

Elle fit un pas en direction d'Orlyë. Admar s'interposa.

— Laissez-moi.

— Non. Je ne mettrais pas en péril l'avenir de la branche du Temps. Ceci est le choix d'Orlyë.

— Mais pas le mien.

— Tu lui as confié ton pouvoir. Ne compte pas sur lui pour entendre raison ni même te le rendre.

Elune le dévisagea. Bien plus grand qu'elle, il la dépassait d'au moins une tête et demie. Son visage neutre reflétait pourtant la tension qui l'animait. Ses cheveux mi-long alternaient entre un blanc immaculé et un gris argenté. Détachés, ils retombaient sur ses épaules et formaient comme une auréole de lumière autour de sa tête.

— Je ne sais pas exactement quelle tension il existe entre Orlyë et vous mais je ne compte pas attendre qu'il tue tout le monde avant d'intervenir.

Elune se surprit elle-même par la force dans sa voix. Quelques lunes auparavant, tenir tête à quelqu'un lui aurait semblé inimaginable. Le faire ne lui plaisait toujours pas, mais elle préférait de loin faire entendre sa voix plutôt qu'espérer que d'autres le fasse à sa place. Admar acquiesça en silence.