Chapitre 28 : Le secret d'Orlyë

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Assise en tailleur sur son lit, Elune déplia, à la lumière de sa lanterne, le papier que lui avait transmis Lucya. L'encre avait un peu bavé et l'écriture peu appliquée rendait la lecture ardue. La clarinettiste avait réécrit deux phrases en Ancien Langage qu'avaient échangé les deux Maîtres. Juste en dessous de chacune d'elle figurait la traduction.

Órt gala em herdin ?

Où est l'enfant ?

Otr herdin nit balkaría neúë dalado actar !

Cet enfant n'aurait jamais dû exister !

Elune posa le papier sur ses genoux et se prit la tête entre les mains cherchant à rejouer la scène à laquelle elle venait d'assister dans sa tête. Pourquoi parlaient-ils d'enfant ? Elle relut la dernière phrase. Un détail lui revint. Elle se précipita à son bureau et s'empara d'une plume. Elle essuya délicatement la pointe sur le bord du flacon pour ne pas laisser une grosse tache sur sa feuille et écrivit la seule phrase qu'elle était parvenue à retenir.

Ín na un herdin.

Elune s'empara de la note de Lucya et se lança dans la traduction. Rapidement à court de mots communs, elle farfouilla dans son armoire. A chaque fin de cours avec Orlyë, elle prenait en note les termes d'Ancien Langage qu'il employait avant de vérifier leur orthographe à la bibliothèque. De fil en aiguille, elle parvint à une phrase.

''Il faut un enfant.''

Tout s'éclaira. Les Maîtres avaient interdiction d'avoir un enfant. Les interférences apparaissaient s'ils contrevenaient à cette règle. Elune se laissa tomber sur sa chaise abasourdie. Admar accusait Orlyë d'avoir eu un enfant et lui demandait où celui-ci se trouvait. Le Maître du Temps avait d'abord assuré qu'il n'en existait pas avant d'avouer qu'il avait effectivement eu un enfant. Son homologue avait même sous-entendu qu'il s'agissait d'un enfant de sang-mêlé. Les unions entre peuples étaient pourtant interdites. Depuis toute petite, Elune avait appris que cette loi avait été imposée pour des raisons d'incompatibilité génétique. L'unique véritable justification était que le premier Maglien, Istler, était un sang-mêlé. Ceux-ci seraient donc les seuls à pouvoir se lier à un phénix ?

Les trois peuples avaient donc interdit les unions de sang-mêlé pour éviter que d'autres enfants puissent se lier à des phénix. Aknaël lui avait un jour dit que seul le phénix du premier Maglien pouvait renaître de ses cendres. Il était aussi le seul à être devenu le familier d'un être ailé.

Elune se leva et se mit à faire les cent pas dans sa chambre.

Le parallèle entre les deux informations paraissait trop simple. Si un phénix ne se liait pas à un ailé, il ne pouvait pas renaître. C'était donc ainsi que les gouvernements des ailés étaient parvenus à éliminer les oiseaux de feu. Interdire la naissance de sangs-mêlés revenait à empêcher les phénix de se lier et donc de survivre.

Elune s'appuya sur son bureau et se mit à jouer distraitement avec sa plume.

Les écrits qui traitaient de ce sujet étaient unanimes : le joug des phénix marquait les pages les plus sombres de l'histoire. Les Temps Anciens, ceux qui s'étaient déroulés avant l'An 0 à la Fondation du Royaume d'Alkar, avaient connu l'apogée des phénix avant que leur espèce ne périclite puis disparaisse à la chute du Royaume d'Alkar, mille ans plus tard. De ce millénaire, Elune ne savait presque rien. La thématique était toujours éludée par Aknaël et, son mari, Oltër.

— Les cicatrices du passé n'ont pas pour utilité d'être contemplées. Il faut avancer et ne jamais regretter. Ceux qui se perdent dans l'histoire oublient les défis du présent.

La Mélodie des Plumes - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant