Sans cœur ni âme : Traque et passion - Tome 1

Chapitre 31

Lars m'accompagne au port, ma main ne prend même pas la peine de saluer les deux frères qui partent en mission. Leur navire s'éloigne, et mon époux ne jette pas le moindre regard vers ma silhouette. Mon ami me chuchote que je devrais quand même leur dire au revoir, ils partent au moins pour deux mois. Un mois aller, l'autre retour. Mais je ne l'écoute pas, j'aurais des vacances sans la présence du monstre et de son homologue chauve.

Lars me demande si je sais pourquoi ils partent. Je lui réponds sincèrement que son cousin a abordé le sujet d'une capture d'un dragon qui vaut particulièrement cher hier soir après le dîner. La rareté fait le prix soit-disant. J'ai fait une promesse à mon époux, sur le fait que je lui trancherais la gorge si la tête du dragon tombait lors de cette capture.

- Et le pire dans cette histoire, c'est qu'il t'écoutera. Non pas qu'il ai peur de toi, mais la peur de te perdre lui arracherait le coeur.

- On ne peut pas arracher à quelqu'un ce qu'il n'a pas.

Il roule des yeux, agacé de la haine qu'il trouve enfantine que j'éprouve envers son cousin.

- Je n'oublie pas Lars. Trois fois. Retiens ça.

- Je sais bien. Mais ne me prends pas pour un idiot Hannah, il te plaît.

Je croise les bras sur ma poitrine, réfutant cette hypothèse partiellement fausse. Nous partons marcher comme à notre habitude, et je fais la découverte de fleurs qui poussent près de ma hutte, des dryades. Comme celles qui ornaient mes cheveux pour mon mariage. Quelle coïncidence idiote. Lars ne pipe pas mot de notre balade, mais arrivés en haut d'une colline, face à l'océan, je développe mes pensées à voix haute.

- Mais même si j'éprouvais de quelconques sentiments envers lui, il ne m'aimerait jamais en retour et cela confirmerait juste qu'il a réussi à me briser assez profondément pour que j'oublie le monstre qu'il est.

- Aimer un autre être ce n'est pas fermer les yeux sur ses défauts, c'est aimer et comprendre chaque détail de sa vie, qu'il soit bon ou mauvais. Mon cousin, accessoirement ton époux, n'est pas une blanche colombe, mais plutôt un monstre noir à sang froid. Ça, nous le savons tout les deux. Mais prend le temps de réfléchir. Tu n'es pas si différente Hannah.

- C'est bien ma crainte, être ce que j'ai toujours détesté.

- Et que dis-tu de l'homme qui hait les dragons du fond de son âme et qui lui même naît dragon ? Tu ne pourras jamais comprendre la balance qui le ronge, comme il ne pourra jamais comprendre la haine que tu lui porte. Selon lui, tuer et chasser sont ses devoirs et selon toi, protéger et défendre sont tes devoirs. Qui a raison dans tout ça ? Cherche bien et tu trouveras quelques écailles blanches dans le coeur de Viggo.

- Et s'il gagnait avant ? Et si je devenais l'ombre de moi-même avant d'y parvenir ? J'aurais échoué.

- Non, tu auras essayé. Tu ne peux pas réussir si tu n'essaie pas.

Les yeux charbon de mon ami observent l'horizon, mais son regard se reposa sur mes épaules.

- Nombreux sont ceux qui ont essayé de percer sa carapace. Par tous les Dieux, s'il y a bien une personne sur cette terre qui peut y parvenir, c'est bien toi. Je serais là si tu as des questions à me poser sur lui si ça peut t'aider, mais sache que toi seule arrivera à faire battre son coeur de pierre. Même si tu penses qu'il n'en a pas.

- Donc tu penses sincèrement que s'il tombe dans mes bras, je serais libre ?

Un rire profond sort de la cage thoracique de Lars.

- Libre ? Tu ne seras plus jamais libre Hannah.

Mon coeur se fissure. Tout est donc perdu.

- Maintenant qu'il t'a fait sienne, ne pense pas pouvoir t'échapper. Si tu oses t'enfuir, il te retrouvera et t'emprisonnera s'il le faut. Il te veut près de lui, et sache que tu as bien assez de liberté, bien plus que toutes les femmes mariées que je connais. Estime-toi heureuse qu'il ne t'ai pas déposé un monstre dans le ventre. Tu peux faire ce que tu veux de tes journées sans qu'il ne te surveille, tu as accès à son or autant que tu le veux et il t'es fidèle. Que signifie la liberté pour toi si ce n'est pas cela ?

La liberté. Vaste question.

***

Dix ans en arrière.

La lune est absente, les cris résonnent dans mes oreilles alors que je me cache derrière des tonneaux en bois. Les grognements sont terrifiants, les dragons se déchaînent contre mon peuple. Le chef tente de les affronter, une épée à la main, il fait face à un immense dragon noir au regard mauvais.

Mon chef, c'est le plus fort, il est grand et massif, ses longs cheveux noirs le rendent encore plus sauvage. Il dit aimer les dragons, mais il s'apprête à tuer celui qui l'attaque. Maman crie mon prénom mais je ne peux pas m'empêcher de fixer le combat entre mon chef et ce dragon assoiffé de sang. Mes yeux restent grands ouverts et mon corps se fige lorsque le dragon arrache le bras de mon chef.

Son hurlement me marquera à vie.

Des bras me soulèvent, je me retrouve contre le torse de mon père. Ma mère a accourue vers le chef pour tenter de lui venir en aide alors que le dragon s'envole vers l'horizon. Le sang se répand sur le sol, mais mon père me cache les yeux pour que éviter que ma mémoire n'assimile un tel acte.

Trop tard malheureusement, j'entraperçois le bras de mon chef rouler jusqu'à ses pieds. Le dragon ne l'a même pas dévoré. Seulement de la méchanceté pure.

- Elborg, il faut partir ! Hurla mon père.

À partir de cette nuit, nous naviguâmes pendant des jours voire des semaines sans connaître notre destination finale. Peut-être allons-nous mourir en mer ?

Et puis un jour, nous accostâmes sur une île alors qu'il pleuvait à n'en plus finir. Un grand viking à la barbe marron nous accueille les bras ouverts.

Depuis ce jour, nous fîmes comme si cette nuit n'avait jamais eu lieu, que nous n'avions pas tout perdu et que mon chef était toujours en vie. Maman dit qu'il ne s'en sortirait pas. Et après cette attaque d'une violence inouïe, cela m'étonnerait qu'il s'en soit relevé.

Lorsque nous débarquâmes sur cette île, un petit garçon m'attendait, ses grands yeux noirs et ses cheveux blonds en bataille m'ont fait fondre. Il m'a appris à aimer inconditionnellement les dragons, que ce sont des êtres fascinants et purs.

Et je remercia les Dieux pour avoir mis Erik sur mon chemin. Sans lui, personne ne saurait dire comment j'aurais fini si j'avais haïs les dragons suite à cette nuit qui me marquera à vie.

***

La liberté, c'est de pouvoir respirer chaque matin en me levant et d'avoir mes deux jambes et mes deux bras intacts.

La liberté, c'est la capacité d'être en vie.

Et j'en remercie les Dieux pour ça.