Chapitre 4 (3)

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— Elle a l'air de meilleure humeur.

Je tressaute. Tout en nettoyant la table voisine à la mienne, le mec aux lunettes désigne Aimee des sourcils.

— Elle l'est.

— Vous êtes sœurs ?

— Jumelles, précisé-je.

Il se redresse pour nous observer tour à tour.

— Vous ne vous ressemblez pas beaucoup.

— Je sais.

— Et elle a l'air plus âgée.

— Elle l'est aussi. Est-ce que tu es toujours aussi curieux ?

— N'est-ce pas un peu de la curiosité de poser cette question ? rétorque-t-il avec un sourire que je lui rends. J'aime bien m'intéresser aux nouvelles têtes.

Il se dirige vers la table en face de la mienne, déjà propre. Alors qu'il s'apprête à ouvrir la bouche, l'arrivée d'un client le distrait. Non, ce n'est pas un client. C'est le mec aux gaufres que j'ai pris du temps à reconnaître à cause du bob sur sa tête. Il fait entrer son vélo et, lorsque son regard accroche le mien, les palpitations de mon cœur s'accroissent au fil des secondes. J'ignore comment traduire ce regard. Est-ce qu'il est surpris de me voir ? Est-ce que j'ai quelque chose sur le visage ? Pourquoi ça semble durer des heures ? Pourquoi j'ai les joues en feu ? Pourquoi aucun de nous ne dévie le regard ?

Tout ce dont je peux être sûre, c'est que je dois cinquante dollars à Aimee.

— Où étais-tu ? nous interrompt le mec aux lunettes.

Je replace une mèche derrière mon oreille, puis fait mine de scroller sur mon téléphone.

— Nulle part.

Je ne peux m'empêcher de hausser les yeux à l'entente de la voix du mec aux gaufres, moins grave que celle de son interlocuteur. Ses mains serrent son guidon, tandis que son probable frère croise les bras. Leurs tailles se rapprochent, sauf que celui aux lunettes a les talons légèrement levés.

— Tu étais supposé être là à huit heures, j'ai dû travailler seul aujourd'hui !

Le nouvel arrivant fait rouler son vélo à l'intérieur pour le passer derrière le comptoir, puis dit :

— Il n'y a jamais personne le lundi.

— Ce n'est pas une raison, Dan, continue son frère, lui emboîtant le pas. Les glaces et la pâte à gaufres ne se font pas toutes seules ! Sans oublier la crème et le chocolat à faire fondre !

Dan, répété-je dans mon esprit. Ce prénom, pourtant simple, sonne bizarre à chaque répétition. Ce garçon n'a pas une tête à s'appeler ainsi. J'ai beau réfléchir, aucun prénom ne semble lui convenir. Quoi qu'il en soit, ça m'évitera de le désigner par « le mec aux gaufres » ou « le sosie de nez de Woody ».

— C'est toi mon boss ?

— Quand maman et papa ne sont pas là, oui. On a reçu une commande ce matin, il y a encore des cartons à ranger.

Les mâchoires de Dan se serrent. Il empile deux cartons et disparaît dans l'espace réservée au personnel. J'ai suivi toute la scène du coin de l'œil. C'est déjà assez gênant d'avoir assisté à leur dispute, alors me tourner vers eux comme si je grignotais du pop-corn devant un film me paraît inapproprié. Il est probablement temps d'y aller.

Je réunis le peu d'affaires que j'ai amené – mon téléphone, un pull au cas où la clim aurait été à fond et le double des clés de la maison que ma sœur aurait perdu en moins de deux. Dan réapparaît pour s'emparer d'autres cartons. Nos regards se croisent à nouveau. Cette fois-ci, j'arrive à me détourner.

Cinquante dollars, me rappelle mon esprit.

— On t'a fait fuir ?

La mine de Dan s'est renfrognée dès que son frère a pris la parole. Est-ce qu'ils ne s'apprécient pas ? Moi qui ai toujours été proche d'Aimee, il m'est inimaginable d'entretenir une telle relation avec elle. Ils semblent avoir des âges rapprochés, je ne saurais dire lequel des deux est plus vieux. Je ne mettrais pas plus d'un an entre eux, ils ont donc dû passer la majeure partie de leur vie ensemble, durant leur enfance en tout cas. Alors pourquoi tant de mépris ?

— Il se fait tard, expliqué-je.

— Ah oui ! constate le frère après avoir consulté l'heure. On ferme dans trente minutes d'ailleurs.

— Alors je ne vous sers plus à rien ici, plaisanté-je.

Quoi que... Peut-être aurais-je dû débarrasser ma table ? Une poubelle n'a pas été placée ici pour rien !

— Laisse, m'interrompt Dan sur ma lancée, je m'en ch...

Cinquante dollars.

— Ne t'inquiète pas, Dan est là pour ça !

— Euh, OK.

Toujours en tirant la gueule, Dan débarrasse la table. J'ai comme l'intuition qu'il sera aussi de corvée de plongée ce soir. Son frère trouve plus amusant de l'observer travailler.

— Et toi, qu'est-ce que tu comptes faire ? m'intéressé-je.

— Tu vois que tu es curieuse toi aussi ! répond-il avec un large sourire.

J'attends un moment, puis sors. Il n'a pas répondu à ma question. De toute façon, ça ne me regarde pas.

— N'hésite pas à repasser !


* * *

Note n°2 :

Trouver $50 à donner à Aimee (à condition qu'elle arrête de me crier qu'elle avait raison).

J'aurais peut-être dû lui mentir...

Lemon & WafflesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant