Chapitre 14 (3)

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J'ai hésité à demander à Elliot si son « amie » n'est pas venue. C'est plutôt du genre d'Aimee d'être aussi directe. Pour l'instant, j'observe.

— T'es en vacances ici ? Je ne t'avais jamais vue avant.

— C'est ça.

Nous nous faisons interrompre par un de ses invités, qui lui demande où se trouvent les toilettes. Il a l'air d'un mec bien, il accompagne son ami à l'intérieur. Je m'installe sur une balancelle – pas le meilleur endroit pour manger, je l'avoue –, à l'écart des autres. Eliza ne tarde à pas à me rejoindre, après s'être rendu compte de mon départ. Le jardin n'est pas très grand, j'ai l'impression d'être suspecte. J'ai juste envie de mettre des lunettes de soleil avec des verres si sombres que mes yeux paraîtraient invisibles.

— Est-ce qu'il me regarde ?

— Il a plutôt l'air concentré sur son barbecue.

— Oh.

Eliza joue avec sa brochette. Je croque dans mon hamburger.

— Tu connais tous ces gens ?

Un par un, Eliza énumère les noms des invités. Noms et prénoms. Je les ai déjà tous oubliés. Je ne reconnais pas grand monde, mis à part la fille qui nous a éclaboussés – Roldán et moi – dimanche dernier. Elle était tellement ivre qu'elle n'a pas l'air de me reconnaître.

— Tu penses que je devrais aller lui parler ?

— Vas-y.

— Qu'est-ce que je devrais lui dire ?

— Je ne sais pas. « Merci de m'avoir invitée » ? proposé-je.

— Et ensuite ?

— Je ne sais pas, répété-je, il va rebondir sur quelque chose. Je ne suis pas celle qui veut sortir avec lui !

Eliza s'empourpre, la tête rentrée dans les épaules. Maintenant, je me sens coupable, bien que je ne lui ai pas crié dessus.

— Reste naturelle, lui conseillé-je.

Elle hoche la tête, plus confiante.

— Vous vous êtes parlés par message, non ?

— Très peu.

Je hausse les sourcils.

— Il t'a invitée à son barbecue, c'est tout ?

— Il a dit « Salut c'est Elliot » et m'a demandé comment j'allais avant.

C'est tout ? Peut-être qu'il est plus du genre conversation face à face. Charles est pareil...

— Et quand il t'a demandé ton numéro ?

— Il était sur le point de partir, on a à peine discuté.

Si Elliot allait partir, alors il est possible que l'autre Uno girl était déjà partie. Ou pire ! Qu'elle attendait dehors.

— Pourquoi ?

— Pour rien. J'adore entendre les débuts d'histoires d'amour, inventé-je, moi-même pas convaincue par mon mensonge.

Je fourre mon hamburger dans ma bouche, histoire de me taire. Je devrais cesser de nourrir l'espoir d'Eliza. Elle rabat ses mèches de cheveux derrière ses oreilles, puis, d'un pas hésitant, progresse vers Elliot. Je ne suis pas sûre de vouloir voir ce spectacle, pourtant, mes yeux ne parviennent pas à se détourner.

Elle a failli trébucher sur un nain de jardin ivre mort dans une brouette – les parents d'Elliot ont des goûts très particuliers. Exceptée moi, personne ne l'a remarqué. Eliza se tourne vers moi, honteuse, je lui lève le pouce. En plus de contrôler mes paroles, je devrais aussi contrôler mon corps.

Je tends les pieds, puis les décolle du sol. Le vent accroît la vitesse de la balancelle. À mon tour d'être couverte de honte, lorsque mon assiette bascule au sol. Avec chance, l'herbe a amorti sa chute.

— Merde, chuchoté-je.

Elliot se précipite afin de m'aider. Eliza tangue sur le côté, comme si un bolide venait de la frôler.

— Ça va, tu n'es pas blessée ? m'interroge-t-il, plus rapide à ramasser l'assiette et le tiers de hamburger qu'il me restait.

— Je suis désolée.

Je lisse mon short, bien qu'il ne soit pas froissé.

— T'inquiète ! T'en veux un autre ?

Je réponds par la négative, puis lui prends l'assiette des mains.

— Je vais le laver.

— Pas besoin, dit-il me le retirant des mains, les yeux souriants, on a un lave-vaisselle à l'intérieur.

Je le lui vole à nouveau. Nous ressemblons à deux chiens qui se battent pour un os.

— J'y tiens. Où est la cuisine ?

— OK, j'abandonne. Par ici.

Mon regard se détourne dès qu'il s'accroche à celui d'Eliza. En même temps, je viens de lui gâcher sa tentative de parler à Elliot. Elle nous fixe, désemparée.

Je frotte l'assiette jusqu'à faire disparaître la dernière tache. En fait, ça doit faire une minute qu'elle brille. Après m'être donné en spectacle, j'ai bien envie de rentrer chez moi, même si ce sera à pied.

— Tu sais, Dan n'est pas un mec très bavard avec les filles... surtout si celle-ci lui plaît.

Je tressaute, alors que je croyais qu'Elliot était retourné à l'extérieur. Dos au mur, il a les paumes appuyées contre un comptoir. Mon cerveau prend quelques secondes pour traiter l'information. Mes lèvres s'étirent, malgré moi. Je me retiens de lui sauter dans les bras. Il a suffi d'une seule phrase pour raviver ma journée.

J'ai l'impression de me trouver face à un mec différent. Gentil, poli, qui semble moins extraverti que ce que je croyais. En même temps, la première fois que je l'ai rencontré, nous étions à une soirée déguisée. Il avait les cheveux plaqués en arrière, là, ils tombent sur son front. Il portait un pardessus à carreaux – c'est tout ce dont je me souviens – ; aujourd'hui, c'est polo et bermuda.

— Je n'ai rien dit.

Un clin d'œil plus tard, Elliot disparaît.

Lemon & WafflesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant