Chapitre 27 - Prendre sa vie en main (1)

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Le dîner a été des plus silencieux. Myron nous avait apporté une tourte au poulet et des légumes de la part de sa mère pour nous éviter de cuisiner le soir de notre arrivée. Personne n'y a touché. Je m'étais coupé une part, mais rien ne voulait passer. De plus, l'impression d'entendre Ade quémander de la nourriture m'a mis mal à l'aise.

Ma première nuit à Rodgertown ne se résume qu'à un seul mot : catastrophique. Les larmes que j'ai retenues toute la journée ont trempé mon oreiller. Le sommeil était si bien caché que je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Du moins, c'est l'impression que j'ai eu en me sortant du lit avec les yeux gonflés et douloureux.

Mon téléphone broie du noir dans le tiroir de mon bureau. Aucune notification pour me distraire. Cette nuit, j'ai dû affronter toutes mes pensées. Ade, mes parents, Shaun, Roldán.

Écrire ce que je ressens m'est revenu à l'esprit. Les premiers mots qui ont noirci mon bloc-notes m'ont davantage enfoncée dans la déprime :

Note n° ?? :

Quelle vie de merde.

Puis, avec un grain d'optimisme :

Ce n'est pas de la malchance. Je devrais écouter Aimee.

C'est une chose de l'écrire ; une autre de s'y tenir.

Nous sommes dimanche. Le calendrier accroché au frigidaire m'apprend que mon père a rendez-vous chez le kiné. Aimee est encore dans sa chambre, peut-être endormie, peut-être en train d'échanger des messages avec son copain.

La déprime, assaisonnée d'un ennui immesurable, appuie sur ma poitrine. Qu'est-ce que j'envie leur relation.

Je m'écroule sur le canapé et souffle sur une mèche qui atterrit sur ma bouche, les yeux fixés au plafond. Ça me rappelle une époque de ma vie que je refuse de revivre, bien que j'aie déjà entamé la longue descente. Déjà, c'est bonne chose que je sois sortie de ma chambre. Je dois reprendre ma vie en main.

Au lieu de rester cloîtrée entre quatre murs, je me prépare et je me rends à la pizzeria de Marco où je retrouve Myron en plein balayage.

— Marco est là ? lui demandé-je après l'avoir salué.

— Dans son bureau en train de gérer ses comptes.

Au fond de la pizzeria, j'ouvre la porte de son bureau sans frapper.

— Tu peux me réembaucher pour le reste de l'été ?

Le visage caché derrière un éventail de papiers, il lève ses yeux tombants vers moi. Comme à chaque fois qu'il travaille, il a noué ses boucles noires en une demi-queue et enfilé le t-shirt de l'établissement : noir pour les employés, rouge pour le propriétaire, avec le logo de l'entreprise.

— Tiens, s'écrit-il, faussement surpris.

Myron lui a dû lui mentionner mon retour.

Marco croise ses jambes sur son bureau, les mains derrière la nuque. C'est parti pour la pire pièce de théâtre de l'année. Une fois, ça s'est terminé en comédie musicale. Je m'assois à son opposé, déjà excédée par son jeu d'acteur.

— Il faudrait penser à embaucher un comptable. Et éventuellement arrêter de fumer, ajouté-je quelques secondes après.

J'agite ma main devant mon visage, asphyxiée par la fumée de la cigarette qui meurt dans son cendrier. Il place sa cigarette électronique entre ses lèvres, plus pour m'exhiber son nouveau joujou que vapoter.

— Je suis passé à une clope par jour, m'apprend-il. Pour ce qui en est du comptable, n'oublie pas que j'en ai fait mes études. Tout ça, je sais gérer !

Le poing devant la bouche, il se racle la gorge.

— Qu'est-ce qui te fait croire que j'ai envie de te rembaucher ?

Il joue les employeurs difficiles. Marco est un blagueur, je l'ai connu avant même qu'il ne rachète les lieux, alors qu'il travaillait pour l'ancien propriétaire. Il se rapproche doucement de la trentaine et a toujours gardé le même caractère : que du positif – même s'il peut devenir lourd avec les blagues –, du genre à saboter toutes nos photos avec des grimaces. Aussi du genre à retrousser ses manches en présence de fouteurs de trouble. Un grand frère, quoi.

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