Chapitre 16 (2)

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— « When life gives you a Casey, keep her and make her happy ».

Mon sourire s'estompe aussitôt. Roldán a les yeux rivés sur mon profil Instagram. Soudain, je crains qu'il me demande comment j'ai trouvé le sien. De quoi aurais-je l'air si je lui disais que ma psychopathe de sœur avait fouillé les comptes de toutes les personnes ayant posté à Port Webster ? Que mon meilleur ami est à l'origine de cette demande d'ajout ?

— C'est ma sœur qui a écrit ça, pas moi.

Juste après ma rupture, au cas où Charles aurait l'idée de surveiller mes réseaux sociaux.

— « @lcasey ». Le L, il signifie quoi ?

Je pince les lèvres, me préparant mentalement à ce qui va se passer.

— Lemon, mon nom de famille.

Je patiente. Pas une réaction.

— Tu n'as pas ri, m'étonné-je.

— Pourquoi j'aurais ri ?

— Ils le font tous. Les gens pensent toujours que je blague quand je leur dévoile mon nom de famille, jusqu'à ce que je leur montre ma carte d'identité. Y a même cette dame qui travaillait à la mairie de Rodgertown qui a cru que je lui faisais un canular téléphonique.

— Ne t'inquiète pas, tu n'auras pas à me la montrer, je te crois. Ça m'est arrivé plusieurs fois aussi, puis l'entreprise de mon père est devenue assez célèbre.

Roldán se penche vers moi, comme s'il allait me dire un secret.

— Tu connais mon nom de famille ?

— Non... euh, Walter ? tenté-je en pensant au W dans son pseudonyme.

Il pouffe de rire.

— J'ai vraiment une tête à m'appeler Walter ?

Je hausse les épaules.

— C'est Waffle.

« Puis l'entreprise de mon père est devenue assez célèbre ». Cette phrase me paraît maintenant plus claire.

Roldán Waffle. Je répète ce nom dans mon esprit jusqu'à m'en lasser, mais je ne m'en lasse pas.

S'il n'a montré aucune réaction à mon nom de famille, sans aucun doute, la surprise se lit sur mon visage.

— C'est comme si c'était destiné, déclaré-je.

Avec cette phrase, je fais surtout référence à son nom de famille et à l'entreprise de son père. Une part de moi songe à notre rencontre. Le fait que ça a été complètement inattendu. Le fait que nos noms de famille soient si semblables sans pour autant l'être. Peut-être que le destin y est pour quelque chose.

— En vrai, c'est plus un coup de pub que mon grand-père s'est permis, commence mon interlocuteur, se grattant la nuque. C'était en 1946, il venait d'avoir dix-huit ans et il tenait un petit stand de gaufres dans l'ouest des États-Unis. Son père n'avait plus donné signe de vie après la guerre et sa mère était gravement malade. Il ne restait plus que sa petite sœur et lui. La même année, sa sœur a assassiné beaucoup, beaucoup de monde. Leur nom de famille avait été sali, alors il l'a changé pour Waffle pour faire décoller ses ventes et a migré vers l'est, jusqu'à Port Webster.

— Waouh.

À ma connaissance, il n'y a pas d'explication concernant l'origine de mon nom de famille. Qui sait, peut-être que mes ancêtres vendaient des citrons ou habitaient près d'un citronnier. Ou alors, j'ai un ancêtre qui aimait tellement les citrons qu'on l'a surnommé « Gilbert the Lemon ». Je devrais songer à créer mon arbre généalogique.

— En effet, waouh.

Mes doigts tapotent frénétiquement l'accoudoir du fauteuil.

— Mon père est policier, son coéquipier lui a tiré dessus, lâché-je comme une bombe.

Ils se figent. Je n'aime pas parler de cette histoire. J'ignore comment ces mots ont pu s'échapper de ma bouche avec tant de facilité.

— La femme de son coéquipier venait de demander le divorce. Le soir, il a pété les plombs et a tiré sur mon père avant de se suicider. On a pris des vacances pour oublier tout ça.

Ma main droite broie la gauche. Mon pied tapote le sol. Des larmes me brouillent les yeux. Une sonnerie attaque mon esprit, celle du téléphone fixe du rez-de-chaussée qui n'avait plus sonné depuis des années, jusqu'à ce soir-là. Il n'était pas loin de minuit, je ne dormais pas parce que je pleurais encore à cause de Charles. Personne n'était descendu répondre. Puis, le téléphone a sonné une deuxième fois, ma mère a répondu. J'ai entendu le « allô » mécontent qu'elle avait lancé, puis plus rien. J'ai alors essuyé mes larmes et suis descendue. Ma mère était avachie sur le rebord du canapé, le combiné sur les genoux. J'ai alors collé le téléphone contre mon oreille.

— Madame Lemon ? Vous êtes toujours avec moi ? disait la voix à l'autre bout du fil.

— C'est sa fille à l'appareil, ai-je répondu.

Puis, j'ai appris la nouvelle. Ma mère ne réagissait plus. J'essayais de la secouer, je lui criais de nous conduire à l'hôpital. Rien n'y faisait, elle avait l'air morte. Au moment où Aimee s'est réveillée, elle a eu l'idée d'appeler notre oncle Albert – le frère de notre père – qui nous a ensuite conduites à l'hôpital, tous en pyjama.

Délicatement, la douce main de Roldán apaise ma nervosité. Chaque caresse me fait frissonner. La compassion dont il me témoigne me pousse à progresser vers des sentiments dont la nature m'est encore inconnue.

— Je suis désolé d'entendre ça.

— Mon père est tellement gentil qu'il a assisté à l'enterrement de son ancien coéquipier.

Aimee et moi aussi. Russel était comme un oncle pour nous. En fait, c'était le parrain d'Aimee, elle était la plus chagrinée de nous deux ; moi, j'étais en colère. La peine de mon père n'est pas seulement liée à la séparation avec ses fonctions, mais aussi au fait d'avoir perdu son coéquipier, son ami.

— C'est très sage.

Lemon & WafflesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant