Il passe la troisième.
La voiture fait un bruit bizarre. Nous basculons vers l'avant.
Mon compagnon de route marmonne quelque chose. Peut-être contre la voiture, peut-être contre lui-même.
Je ne pensais pas entendre ces premiers mots dans mon esprit parce que je pensais que Roldán Waffle n'avait ni voiture, ni permis. Il me l'avait dit, qu'il n'avait pas de voiture, la fois où j'ai failli faire un malaise, je m'étais donc imaginé que s'il ne possédait pas l'une, il n'avait pas l'autre. Je me suis trompée.
Alors... cela veut donc dire qu'il aurait pu conduire quand son frère était soûl !
La punition des frères Waffle a duré plus de temps que prévu. Comme je l'avais prédit, ils ne seraient pas tranquilles avant la réparation du pick-up. Une semaine est donc passée depuis que j'ai vu Roldán devant chez lui. Nous n'avons pas cessé de nous envoyer des messages – nous nous sommes échangés nos numéros sur Instagram. Les seules fois où nous nous arrêtions, c'était pendant ses heures de boulot – il me textait cependant en absence de clients, mais je ne répondais pas, de peur qu'il se fasse réprimander par sa mère – et quand nous dormions. Il est bien plus bavard derrière un écran que face à face.
L'habitacle empeste le déodorant pour homme. L'air frais soulage mes poumons à chaque fois que je sors les narines par la vitre. La clim ne fonctionne plus, cependant, c'est en quelque sorte une bénédiction à cause l'odeur qui émane de cette bagnole. La radio non plus. Je n'ai pas pu m'empêcher de demander :
— C'est ta voiture ?
Roldán secoue la tête, concentré sur la route.
— Celle de Wachsmuth. Je la lui ai empruntée pour ce soir.
Je n'ai pas vraiment réfléchi lorsque je me suis introduite dans cette voiture. Un serial killer aurait pu se trouver à l'intérieur. Je souhaitais échapper à ma famille qui m'espionnait depuis la fenêtre du salon. Sans oublier Aimee qui sortait m'éponger le front toutes les deux secondes. Ouais, j'ai attendu à l'extérieur. J'évitais un bombardement de questions. Ils attendaient comme si un prince du Royaume-Uni allait débarquer devant chez nous.
« Quel âge il a ? », dix-sept ans, il les a eus en avril dernier.
« Où est-ce que vous allez ? », manger un truc, puis ciné.
« Quel film vous allez voir ? », on va se décider sur place.
Bien évidemment, j'ai préféré rester vague. Mon père est le seul à ne pas m'avoir questionnée. Il n'est pas anti-copains, seulement un peu méfiant. « Austin, réjouis-toi que ta fille ait un rendez-vous ! », lui a dit ma mère. Par embarras, je me suis empressée de m'éloigner.
Un tube de rouge à lèvres traîne dans mon sac. Je n'ai pas osé en appliquer. Aimee aurait fait une remarque qui m'aurait vite agacée et je l'aurais enlevé. J'ai hésité entre mettre une jupe et une robe. J'ai opté pour un pantalon large qui m'assure le confort et un crop top qui tombe sur mes épaules.
— J'ai oublié de te le dire, il y a une panne de courant au ciné, m'apprend Roldán.
Je suis quelque peu soulagée. L'idée de me retrouver une pièce sombre à côté de lui, à ne presque rien dire, à observer ses faits et gestes, m'angoissait. De plus, je me suis baladée sur le site du cinéma qui ne propose que quatre films d'horreur et une comédie romantique. Les films d'horreur, pas mon truc ; les comédies romantiques, plus très fan depuis ma rupture, d'autant plus que je finis toujours par fondre en larmes et me demander pourquoi je n'ai pas mérité de happy ending. D'après Roldán, le cinéma de Port Webster n'est certainement pas le meilleur, « une galerie de nanars ».
— Alors, c'est quoi le programme ?
— Y a bien le week-end de la fraise.
— Le week-end de la fraise ? m'exclamé-je, hilare.
— Ouais, glousse-t-il, à North Meadows. C'est à une heure de route d'ici, sans compter les bouchons qu'on va se taper. C'est plutôt populaire. Ça fait longtemps qu'on y pas allés, avec ma famille. En vrai, c'est cool, y a plein de stands et de manèges.
Des manèges ? Il n'en faut pas plus pour me convaincre. Les fraises, au diable ! En revanche, les manèges et moi, grande histoire d'amour. Lors des fêtes foraines, Myron et moi nous amusons à tester toutes les attractions possibles jusqu'à ce que nos portefeuilles ne nous le permettent plus. Aimee est trop nauséeuse pour se joindre à nous. Quant à Charles, il trouve ça trop naze.
* * *
Le soleil s'est couché à notre arrivée. La voiture d'Elliot est débarrassée des canettes de soda et des emballages de snacks que nous avons achetés en chemin.
Le peu d'éclairages que North Meadows possède amplifie les couleurs vives des manèges. Je ne m'attendais pas à voir des voitures border la route, sans oublier les gens qui marchent en plein milieu. L'événement se déroule entre les serres et les champs de – j'imagine – fraises. Les voix, les cris se mêlent aux musiques, entre rock, hip-hop et R'n'B. Surtout, je ne m'attendais pas à ce que le week-end de la fraise soit si populaire.
— Quinze tickets, c'est assez, non ? m'interroge Roldán, au guichet.
— Quinze ? Pourquoi pas trente ?
— Trente ? C'est énorme.
— Si ont veut faire les attractions ensemble, on a besoin d'un nombre pair.
— Oh... Vingt ? tente-t-il de négocier.
—Vingt-six, dernier mot. On peut faire moitié-moitié.
Il hausse un regard inquiet vers les manèges.
— Pourquoi ne pas en prendre dix et revenir en acheter d'autres plus tard ?
Les paupières plissées, je m'approche de son visage.
— T'as peur ? le taquiné-je.
— OK, Lemon, je te laisse la victoire. Heureusement que j'ai laissé mon chapeau à la maison aujourd'hui.
Je suppose que perdre son bob l'effraie plus que le porter en porte-bonheur.
Pourquoi mon visage est toujours aussi proche du sien ? On croirait que j'attends un baiser qu'il ne va pas m'offrir. Pourquoi je continue à le fixer alors qu'il prend nos tickets ? Nos messages m'ont fait développer une audace insoupçonnée.
— J'espère qu'il va pleuvoir, je l'entends murmurer.
— Qu'est-ce que tu viens de dire ?
— Rien, répond-il, un sourire innocent au visage.
— Je t'ai entendu. La pluie ne m'arrêtera pas.
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Lemon & Waffles
Novela JuvenilLa famille de Casey a loué une maison située à six heures de route de leur domicile. Les vacances ont débuté de manière agréable... pour sa famille. Casey n'avait aucune envie d'y participer, d'autant plus qu'elle ne parvient pas à se remettre de sa...