Chapitre 9 (3)

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Le DJ a lancé une nouvelle chanson en espagnol. Leandro a déjà rejoint la piste de danse ; je le distingue à travers la baie vitrée. Roldán n'a pas bougé pas d'un poil. Juste pour ça, je me sens spéciale.

La même fille que tout à l'heure plonge dans la piscine. Cette fois-ci, elle ne nous rate pas. Par réflexe, je me suis protégée de mes bras. Roldán a bondit. Il était en ligne de mire. On dirait qu'il s'est pissé dessus. Je suis à la fois amusée et en rogne. Je ne savais pas que c'était possible.

— Camille, t'es vraiment chiante comme fille !

La dénommée Camille s'esclaffe. Son mascara a coulé. Si elle n'était clairement pas ivre, j'aurais cru qu'elle venait de pleurer.

— Désolée, Dan !

Sa voix sonne comme une porte qui grince.

— C'est ta meuf ?

— Mêle-toi de tes affaires.

Il n'a pas dit non. Pourquoi ? C'est pourtant la vérité.

Les sourcils froncés, il observe l'état de sa tenue, en partie mouillée. Il tapote sa veste, comme si ça résoudrait le problème.

— Ne fais pas ton Jean-Richard ! lâche Camille, avant de nager sur le dos.

Quelle drôle d'expression !

— Ça va, toi ? Elle t'a eue toi aussi ?

Roldán n'a pas défroncé les sourcils, mais j'ai perçu l'inquiétude dans sa voix.

— Pas autant que toi. Allons nous sécher à l'étage.

Il jette un regard noir à Camille qui tousse après avoir bu la tasse.

Dans la salle de bains du haut, Roldán et moi nous séchons à l'aide d'un sèche-cheveux. Le sol vibre sous nos pieds. La musique est si forte que nous entendons à peine le sèche-cheveux. Je m'essuie la jupe et les jambes avec une serviette. Roldán a toujours l'air furieux. Je lui laisse un peu d'intimité. J'ignore quoi lui dire. Cette Camille est bien trop soûle pour avoir conscience de ses actes.

Je m'assois sur le lit d'Eliza en chantonnant. Paranoïaque comme je peux le devenir, j'ai laissé mon sac dessous afin d'éviter de me le faire voler. En tout cas, il n'y a pas d'objet de valeur à l'intérieur, seulement une boîte de chewing-gum, les clés de la maison, un baume à lèvres et... le bob de Roldán. Je l'avais oublié.

Après avoir toqué, la tête de Roldán apparaît dans l'entrebâillement de la porte.

— Hey.

— Hey.

Il entre en se massant la nuque. Il est si loin.

— Je suis désolé.

Il n'a pas précisé pourquoi, mais nous savons tous les deux qu'il fait référence à son comportement.

— Tu as le droit d'être en colère.

Il baisse les yeux, les lèvres pincées.

Après un moment, je lui demande :

— Ça veut dire quoi « faire son Jean-Richard » ?

— Jean-Richard, commence-t-il, les yeux rieurs. C'est un Français qui venait en vacances chaque été. Il n'est pas venu cette année, j'ai entendu dire qu'il est tombé vraiment malade. Avant, on s'amusait à lui jeter du sable ou à l'asperger d'eau et il criait tout le temps un truc du genre « ce pantalon a coûté six cent euros ! » et ça nous faisait rire. Il nous aimait bien, il nous donnait souvent deux ou trois dollars pour qu'on aille s'acheter des bonbons.

J'ai éclaté de rire lorsqu'il a imité la voix d'un vieil homme. On ne peut pas être drôle et impassible en même temps. C'est impossible.

Roldán fait quelques pas en avant. Debout, je serre le chapeau, en même temps, je me rappelle que je le tiens.

— Ça t'appartient.

— Ah oui.

Il l'a dit comme s'il venait de s'en souvenir. Peut-être qu'il joue la comédie. Eliza m'a dit qu'il ne s'en sépare jamais.

— Tu devrais le récupérer.

— Pourquoi ?

— Parce que c'est à toi ?

Pendant une éternité, mon regard se perd dans le sien. Roldán diminue la distance qui nous sépare. Malgré moi, mes bras tremblotent. Il sent la fraise et la cigarette. Ce n'est pas un parfum. Il mâche un chewing-gum. Alors, il préfère les arômes fruitées.

Pourquoi est-il si proche ? Va-t-il m'embrasser ? À l'instant où cette pensée frappe mon esprit, il s'humecte les lèvres. Je ne veux pas qu'il le fasse. Dans mon esprit, c'est merveilleux ; dans la réalité, c'est angoissant. S'il le fait, je ne pense pas que je pourrai être en mesure de l'arrêter.

Parce que j'y prendrai plaisir.

Et je m'attacherai à un nouveau garçon.

Je hausse les yeux jusqu'au haut de son crâne pour y poser son chapeau. Bien qu'il me dépasse de pas grand-chose, il a souri et s'est baissé. Soudain, un éclair nous surprend.

Non, pas un éclair. Aimee et son polaroid. Roldán ne s'est pas écarté, il s'est positionné à ma gauche pour lui faire face aussi. La fierté collée au visage, ma sœur secoue la photo avant de la tendre à Roldán.

— Ça fera un dollar, Monsieur !

— Aimee ! grondé-je. Qu'est-ce que tu fais ici ?

— J'étais inquiète, je ne te voyais plus !

Roldán fouille ses poches.

— Je vais payer.

Un petit cri de joie sort de la bouche de ma sœur. Je rougis de honte.

— Tu n'as vraiment pas besoin de payer, elle a eu assez d'argent ce soir.

— Mais cette photo est une réelle œuvre d'art ! Regardez, vous êtes comme Napoléon et Joséphine !

— Alors, ça fait de moi Joséphine, rigole Roldán.

— Enfin quelqu'un qui comprend mes références !

— Aimee, s'il te plaît, soupiré-je, les paupières closes.

— On peut négocier tout à l'heure.

Aimee nous quitte avec un clin d'œil. Une fois seuls dans la chambre, j'expire. Sa présence n'a pas l'air d'avoir dérangé Roldán. Je me demande pourquoi, puisque, plus tôt, il avait peur d'être surveillé.

— Casey et Aimee, bien sûr. Ça rime.

— C'est un surnom. Elle s'appelle Amanda.

— Et toi, c'est juste Casey.

— C'est un prénom déjà court. Je n'ai pas besoin d'un surnom.

Une mèche de mes cheveux se distingue des autres. J'aimerais qu'il la remette derrière mon oreille, qu'il me fasse frissonner. À la place, il se dirige vers la porte.

— Je vais voir si mon frère est toujours en vie. On se voit plus tard, Napoléon.

Roldán disparaît, emportant avec lui les souvenirs que nous venons de créer.

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