Chapitre 20 (2)

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Mes mains sont douloureuses à force de les broyer. Roldán s'est aperçu de mon anxiété, mais n'a rien dit, les mains cramponnées au volant. Je lui dois une chandelle, lui qui déteste la conduite. Il m'a expliqué qu'il avait une fois eu une altercation avec un automobiliste qui l'avait klaxonné pile au moment où le feu était passé au vert. Il avait alors perdu son sang-froid et était sorti de sa voiture pour lui hurler dessus. Depuis ce jour, il déteste non seulement conduire, mais aussi les impatients de la route.

Un petit rire s'échappe de mes lèvres. J'ai eu la même réaction lorsque Roldán m'a raconté cette histoire. Ce côté sanguin m'avait à fois éberluée et amusée.

— À quoi tu penses ?

— À toi.

Il sourit.

— À défaut d'avoir un sens de l'humour, j'arrive au moins à te faire rire dans tes pensées.

J'esquisse un sourire et ouvre la boîte posée sur mes genoux. Roldán m'a préparé des mini tartes aux fruits et au chocolat. Elles ont une forme un peu particulière, mais elles sont délicieuses, bien sucrées, comme je les aime. Enfin, l'angoisse ne m'a autorisé qu'à prendre qu'une seule bouchée.

— Ne te force pas à les manger pour moi. Si tu ne les aimes pas, je ne t'en voudrai pas.

— Non, elles sont délicieuses, mais c'est juste que...

— Casey, je plaisante.

Officiellement, cela ne fait qu'une petite semaine qu'on sort ensemble, mais, chez lui, je ne parviens pas à faire la différence entre l'ironie et le sérieux.

— Ce Charles, il mérite vraiment que tu te mettes dans un état pareil pour lui ?

Une question rhétorique, sans doute. Silencieuse, je me tourne quelques secondes vers la vitre. Il a probablement raison.

Le soleil, malgré sa faible intensité, nous aveugle. Le GPS indique qu'il nous reste une vingtaine de minutes de trajet. D'après celui-ci, l'adresse de Charles correspond à une station-service. Vu l'endroit, au moins je sais que ce n'est pas une tentative de me récupérer.

J'ai réfléchi toute la nuit à un plan : garder les bras croisés, lui accorder cinq minutes d'explication, partir.

Il fera déjà nuit à notre retour.

Comme d'habitude, j'envoie un message à mes parents pour leur faire savoir que je suis toujours vivante.

— On parle beaucoup de Charles, mais, en attendant, on ne parle jamais de tes ex, remarqué-je, taquine.

— Parce que je n'en ai pas.

— Oh. Vraiment aucun ?

— Seulement quelques flirts, mais personne qui pourrait être qualifié d' « ex ».

— J'imagine que c'est la raison pour laquelle tu ignores l'existence de la règle principale de la vie de couple : ne jamais mentionner ses ex, blagué-je.

Roldán rigole.

— Même négativement ?

Je hausse les épaules.

— Plus sérieusement, je t'ai déjà dit que ça ne me gênait pas. Tout ce qui compte, c'est que tu te libères d'un poids.

Au beau milieu des arbres, se trouvent en réalité une station-service et un diner. J'imagine que ce n'est pas à l'intérieur de la station-service que je retrouverai Charles. Le pick-up est garé parallèlement au diner, à une place où tous les clients assis côté fenêtre peuvent m'apercevoir.

Mon estomac s'alourdit, je n'aurais pas dû me forcer manger ces tartes.

— Je vais acheter de quoi grignoter. Je t'attendrai près de la voiture.

Roldán dépose un baiser sur ma joue.

— Ça va bien se passer.

Un soupir dégonfle ma poitrine lorsque je me retrouve dehors. J'évite tous les regards alors que je m'engouffre dans le restaurant à peine rempli. La musique d'un jukebox fait légèrement vibrer le sol, et mon cœur en même temps. Il ne me faut pas longtemps pour repérer Charles. Lunettes sur le nez, l'écran de son ordinateur prend une teinte verdâtre à travers celles-ci. Sur quoi bosse-t-il à cette période de l'année ? Les vacances sont faites pour se reposer ! Je parie qu'il prend de l'avance sur ses futurs cours à l'université. Qu'a-t-il choisi ? Ingénierie ? Droit ? Même s'il a redoublé une classe, il pourrait exceller dans n'importe quel domaine. Sauf les langues... la littérature... et les médias. Il n'est pas parfait, je dois me le rappeler.

Je m'étais longtemps interrogée sur la raison de son redoublement. D'après lui, il manquait d'attention en classe à l'époque. Si c'est un défaut qu'il a pu corriger, maintenant que j'y pense, il ne l'a fait que pour sa scolarité, pas pour notre couple.

— Vous vous installez ou non ? graille une vieille serveuse derrière le comptoir.

— Oui, je...

Charles baisse son écran après s'être aperçu de ma présence.

— Elle est avec moi, lance-t-il, debout.

Les frissons qui me parcourent les bras me font aussitôt oublier mon plan. Cette voix, putain, je ne l'avais pas entendue depuis des mois. Personne ne croirait qu'un timbre si grave sortirait la bouche d'un garçon si frêle. Je déteste l'effet qu'elle me fait.

Lemon & WafflesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant