Chapitre 26 - De retour (1)

21 3 0
                                    

Rodgertown est une petite ville tranquille, ombragée, ensoleillée le matin, nuageuse l'après-midi. Les routes piègent les véhicules avec des nids de poule par-ci, par-là, en particulier dans les zones résidentielles. Les oiseaux trouvent amusant de fienter sur les pare-brises.

En été, les habitants préfèrent partir. Notre seul accès à ce qui se rapprocherait de la mer, c'est le plus petit lac du monde et une piscine municipale. Sans oublier que certains habitants possèdent leur propre piscine. Rien n'encouragerait les touristes à visiter ou les habitants à rester. Le centre-ville est à peine plus grand que deux terrains de foot. Nous n'avons pas de spécialité locale, seulement de bons pizzaïolos et des glaces bourrées de colorants.

Le Tiny Waffle me vient à l'esprit. Avec de simples gaufres et des glaces, l'entreprise a réussi à créer un menu des plus originaux. Peut-être devrions-nous nous lancer dans la confection de pizzas sucrées ? Beurk. C'est comme préparer une salade de chocolat. Marco n'accepterait jamais.

À bord du bus, nous dépassons l'hôtel de ville qui impressionne davantage à cause de sa peinture écaillée que sa taille, alors que la nausée me chagrine l'estomac.

J'y ai habité toute ma vie, jamais je ne me suis sentie si dépaysée.

L'océan n'est ni visible, ni audible. Les arbres sont nombreux, presque qu'envahissants. Un vent tiède circule dans les rues.

Nous avons eu la chance d'attraper un bus à six heures du matin, une ligne directe entre Port Webster et Rodgertown. Il est vide. Pourtant, Aimee, notre père et moi occupons des sièges espacés. Sans doute pour digérer nos informations respectives : la mort d'Ade, la séparation avec maman, ma séparation avec Roldán.

Le corps d'Ade gît à l'intérieur d'un sac poubelle, lui-même à l'intérieur de sa cage de transport, à côté d'Aimee. Cette dernière était contre l'idée, mais nous n'avons pas eu d'autre choix. Il fallait bien trouver une solution pour transporter son corps.

Maman est restée à Port Webster afin de régler des dernières affaires avec les propriétaires de la maison. En apprenant les actes de leur fils, au bord du malaise, le couple Jennings nous a présenté ses excuses, avant même de courir au chevet de Shaun à l'hôpital. La mère m'a pris dans ses bras, ignorant totalement les raisons qui ont poussé son fils à tenter de me tuer : Roldán. Il n'y a aucune autre raison.

Mon téléphone n'a pas cessé de vibrer sur le trajet. J'ai fini par l'éteindre. Les messages de Roldán et d'Elliot m'importent peu. Je préfère ne plus exister à leurs yeux. Oui, j'ai dit à ce dernier que je ne lui en voudrais pas, cependant, il aurait pu pousser son meilleur ami vers de meilleurs choix.

À la gare routière, nous sommes accueillis par une horde de fumeurs, d'enfants capricieux et de parents épuisés. Le chauffeur nous aide à sortir nos bagages.

— Aimee !

Myron apparaît derrière nous et ma sœur saute dans ses bras. Aimee et moi ne nous avons pas adressé la parole depuis... tous ces événements. Ils ont repris contact durant le trajet, je l'ai vue taper sur son téléphone. Les voir à nouveau ensemble m'émerveille. Or, les circonstances qui ont précipité leur réconciliation me déplaît au plus haut point.

— Je suis désolé, lui lance-t-il, le visage niché dans son cou.

— Je suis désolée aussi ! sanglote-t-elle.

Plus tard, j'ai galéré à monter ma valise dans ma chambre. Notre maison n'est pas aussi vaste que celle de Port Webster. Je me suis cognée dans tous les meubles possibles.

Mon lit n'a pas été fait avant de partir, ça me ressemble bien. Je fais rouler ma valise jusqu'au placard presque vide. Aimee a vraiment pris toute ma garde-robe en faisant mes valises. J'aère la chambre, j'ai dû laisser tomber des miettes de céréales pour que l'odeur soit si forte, ce n'est pas possible !

Les voix d'Aimee et de Myron sont brouillées par le mur qui sépare nos chambres.

Quelques photos sont collées sur mon mur, avec ma famille, mes amis, avec... Charles. Je grimace de dégoût et décroche toutes les photos où il apparaît.

— Dire que tu m'as fait moins mal que lui, lancé-je à son portrait.

Puis, je les écrase et les lance dans ma corbeille.

Dans un soupir, je tombe sur mon lit, puis gémis après m'être cogné la tête contre le mur. Pendant un instant, je me suis crue à Port Webster, sur mon lit plus large. Mon matelas creuse sous mon poids, j'en reviens à regretter le dur de la ville portuaire.

Port Webster me manque plus que ce que je croyais.

Peut-être que la chambre que j'occupais a autrefois appartenu à Shaun.

Peut-être que ma séparation avec Charles n'était qu'une préparation à ce qui m'attendait dans le futur.

Lemon & WafflesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant