Chapitre 16 - Noms (1)

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« rdan.w06 a demandé à suivre votre compte »

Mon cœur cogne. J'entends ses battements, comme s'ils se produisaient directement dans mes oreilles. Mon esprit a tant de mal à y croire que je dois me référer à la notification de nombreuses fois. Je n'ai pas encore cliqué dessus. Je n'ai pas encore accepté son invitation. Bien sûr que je compte le faire. La Casey déprimée de ces derniers jours n'attendait que ce signe. Inattendu, pourtant merveilleusement bien accueilli.

Être tranquille, seule, à l'abri des regards. Voilà ce qu'il me faut pour l'accepter. En même temps, je brûle d'impatience. Impatiente d'accepter son invitation. Impatiente de m'abonner à son compte. Impatiente de savoir quel type de contenu il poste.

— Je vais marcher un peu, annoncé-je à Eliza.

— Attends ! Et Elliot ?

— Quoi Elliot ? demandé-je, distraite.

— Il m'a vraiment laissé de la glace ?

— Il a voulu être gentil.

Chaque question qu'elle me pose me fait l'effet d'un coup de marteau au crâne. Je n'ai plus envie de parler d'Elliot, alors je m'éloigne. La notification vient immédiatement apaiser mes maux de tête. À nouveau, mon corps s'élève sur un nuage.

Sans réfléchir, j'accepte l'invitation de Roldán. Alors que je me rends sur son profil, je réalise que... je me suis déjà abonnée à son compte ? Le rouge me monte aux joues. Par quel moyen ?

« Dan (@rdan.w06) a accepté votre demande de suivi », m'apprend ma page de notifications. Une minute avant qu'il s'abonne en retour. Par quel moyen ? Est-ce que je me suis accidentellement abonnée ? Je ne me suis pas rendue sur son compte depuis qu'Aimee l'a découvert. La réponse se trouve dans mes mails. Je m'immobilise.

« Connexion depuis un nouvel appareil

16 h 47 Rodgertown »

MYROOOOOON !!!!

Il a encore frappé. S'il se tenait à mes côtés, je l'aurais assommé à coups de carton de pizza. Oh non. Il ne manquerait plus qu'il ait envoyé un message à Roldán.

Mes doigts tremblent au-dessus de mon écran. Il y a en effet un message, mais pas envoyé par « moi ».

DAN : Je t'ai vue sortir de chez Wachsmuth »

Les points de suspension m'indiquent que Roldán est en train de taper. J'attends, entre la peur et l'excitation.

DAN : Et je te vois maintenant x)

Je fais un tour sur moi-même, avec l'impression d'être dans la peau d'une chienne à la recherche du bâton qu'on lui a lancé. Habite-t-il dans les parages ?

DAN : Attends

Je distingue du mouvement à ma droite, une porte s'ouvre. Les papillons dans mon ventre se multiplient par dix au moins, de même que mes palpitations. L'air amusé, Roldán me salue de la main.

— J'habite ici, m'apprend-il.

En face de la maison d'Elliot. Le pick-up du père de Roldán repose dans le garage où des outils jonchent le sol. Son père est à moitié dévoré par le capot, comme Kenickie dans le générique de Grease – Aimee, sors de ce corps. J'imagine que tant que la voiture n'est pas réparée, les ennuis continueront pour les deux frères.

Roldán tend la main à l'intérieur de la maison, place son bob fétiche sur ses cheveux, puis progresse sur le pavé. Nous sommes face à face, chacun sur un trottoir.

— Comment s'est passé le barbecue de Wachsmuth ?

— C'était bien, me décidé-je enfin à parler. Il y avait des hamburgers, des brochettes et des hot-dogs. On a aussi joué au Uno et au black-jack.

— Pour de l'argent ?

— Non, pour des boules de glaces. C'était cool.

— T'en as gagné combien ?

— Quatre, mais j'ai été aidée.

Il a les mains dans les poches ; mes doigts s'entremêlent derrière mon dos.

— J'ai perdu cinquante dollars l'été dernier. Wachsmuth est le roi de la triche !

Ça me rappelle que je dois cinquante dollars à Aimee.

— J'imagine que ça fait de moi sa complice, il est celui qui m'a aidée.

Roldán étire les lèvres. Un cabriolet nous interrompt pendant quelques secondes. Comme si nous nous reflétions dans un miroir, Roldán et moi avons un mouvement de recul au passage de la voiture.

— Il organise un barbecue chaque été ? demandé-je.

— Ouais. Je suis toujours puni, je n'ai pas pu venir.

Dans les deux cas, nous nous serions croisés aujourd'hui.

Je me tourne vers la maison d'Elliot, puis celle de Roldán. Sans étages, de couleur claire, grandes vitres noires, toit foncé, elles sont assez similaires.

— Je sais, c'est juste en face, mais ma mère n'en a rien à carrer.

Une nouvelle voiture passe.

— Est-ce que tu veux... venir t'asseoir quelques minutes ? Je n'ai pas le droit de quitter l'enceinte de la maison, explique-t-il.

Sans hésitation, je hoche la tête, puis traverse la route. La gêne s'impose entre nous. Comment devrions-nous nous saluer ? Une accolade ? Un bisou sur la joue ? Qu'est-ce que nous sommes l'un pour l'autre ? Que ce soit lui ou moi, nous avons l'air paumés. Ainsi, nous abandonnons toute forme de bienséance et nous posons sous le porche. Je ne suis même pas déçue. Nous nous trouvons chez lui, chez ses parents, avec son père à quelques mètres, quelconque geste affectueux serait inapproprié. Sa simple présence à mes côtés me convient parfaitement.

Roldán débarrasse un tas de tapis pliés d'une rocking-chair et m'invite à m'asseoir. Il s'installe sur l'autre fauteuil.

— Tu cours toujours le matin ?

— J'ai un peu... beaucoup ralenti ces derniers temps.

— Pourquoi ?

— La chaleur, je prétends.

Je me balance nerveusement sur mon fauteuil.

— Ah oui, il ne faudrait pas que tu refasses un autre malaise !

J'esquisseun sourire, repensant au moment où il a posé son chapeau sur mon crâne.

Lemon & WafflesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant