Chapitre 7 - Cocktails, dîner et jacuzzi (1)

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La maison des Jefferson est trop grande pour une famille composée seulement de trois personnes. Elle est de couleur écru, recouverte de bois par endroit, avec de grandes fenêtres noires. Des palmiers sont plantés de manière symétrique autour de la maison. Même taille, même nombre de feuilles, même feuilles mortes qui menacent de chuter.

Quatre jours plus tôt, je n'avais pas vraiment prêté attention aux parents d'Eliza. Soit ils ont également des enfants plus âgés, soit ils ont eu leur fille unique assez tard. À leur âge – pas loin d'une soixantaine d'années à mon avis –, ils pourraient déjà être grands-parents. Monsieur Jefferson est un petit homme à la mine sévère qui disparaît dès qu'il étire les lèvres. Son crâne dégarni luit sous le plafonnier qui me fait penser à des coton-tiges. Sa femme est la copie conforme d'Eliza – enfin, l'inverse –, les cheveux roux en moins, avec le même faux regard sévère atténué par ses yeux de biche. Elle ressemble à une femme au foyer des années soixante avec son brushing XXL, son discret collier de perles et sa robe bien marquée sur la taille. J'imagine Monsieur Jefferson rentrer du travail en se dandinant, une mallette à la main, et embrasser sa femme qui fait la cuisine et sa fille qui fait ses devoirs sur la table de la cuisine en balançant des pieds.

These boots are made for walkin'... chanté-je dans mon esprit.

J'avais porté une tenue similaire à celle-ci pour une pièce du collège. Je m'étais déhanchée comme une malade dans des bottes trop grandes pour mes pieds. J'en avais même perdu une sur scène.

— Tu danses ? s'étonne Aimee.

— Hein ? Non.

Monsieur Jefferson nous rappelle combien il est ravi que nous ayons accepté son invitation.

— Mais si, tu agitais tes jambes comme Travolta !

Je le prends comme un compliment.

— Je n'ai pas remarqué.

Lorsque les époux Jefferson ont complimenté la robe à fleurs que ma mère m'a forcé à mettre, j'ai sérieusement cru que j'allais me faire engueuler. Leur façon d'interpeler les gens ferait paniquer n'importe qui.

Eliza descend avec un léger retard. Elle rabat une mèche de cheveux derrière son oreille et s'excuse, juste avant de m'offrir une accolade qui me raidit. Nous atteignons une large terrasse pour prendre des apéritifs. Monsieur Jefferson nous prépare des cocktails, alcoolisés pour les adultes, à base de jus pour les plus jeunes.

L'air s'est refroidi aujourd'hui. Les nuages n'ont pas quitté le ciel depuis mardi, mais pas une seule goutte de pluie n'a touché le sol. La plage est visible depuis la terrasse. Quand Eliza s'est vantée d'habiter près de celle-ci, je pensais qu'elle parlait de Red Beach, pas d'une plage privée. Pour posséder un terrain pareil, il faudrait posséder des millions !

Mon père et Monsieur Jefferson parlent de leurs vins favoris. Madame Jefferson, qui a remarqué la belle french manucure de ma mère, l'interroge sur les tarifs de ses prestations dans son salon à Rodgertown. Je me baisse pour tester la température de l'eau de la piscine. Trop froide. Je savais qu'il y en avait une car...

— Vous avez amené vos maillots de bain ? demande Eliza, surexcitée.

Hier, ma sœur et moi avons reçu un coup de fil d'Eliza, sur le téléphone de notre mère, qui nous a dit d'emmener nos maillots de bain.

— Aimee l'a fait.

L'intéressée lève le pouce. Elle qui rêve de faire un plongeon dans une piscine depuis le début des vacances, elle n'a pas voulu rater cette occasion.

— Si tu n'en as pas apporté, c'est pas grave. Je peux t'en prêter un !

— Mais tu es beaucoup plus petite que moi.

— C'est pas grave, tu es aussi mince que moi, un deux-pièces devrait faire l'affaire.

« J'ai mes règles », suis-je sur le point de dire. C'est sans doute la raison de trop. Ainsi, je capitule.

Je m'installe sur le même transat qu'Aimee.

— T'as vu ? Il y a un jacuzzi aussi !

— On peut s'y poser après le dîner, si vous voulez, propose Eliza.

Aimee applaudit.

— Il ne fait pas un peu chaud pour se faire un jacuzzi ?

— Il fait moins chaud qu'hier et avant-hier ! Il vaut mieux en profiter tant que les températures sont convenables.

— Et le soleil n'est même pas encore couché, ajoute Aimee.

Je donne raison aux filles. J'ai même laissé un sweat à l'entrée, complètement dépareillé de ma jolie robe.

Eliza nous abandonne pour servir des petits toasts au saumon et à l'avocat, des brochettes de tomates cerises, de mozzarella et d'olives, ainsi que des petits sandwichs à la viande. Je sirote le cocktail acide que vient de me tendre Monsieur Jefferson.

— Je commence à bien aimer cette fille !

— Tu ne l'aimes pas, contredis-je Aimee, tu aimes les choses qu'elle possède dans cette maison.

Elle plisse les yeux, sans piper mot. Elle sait que j'ai raison.

— Je ne suis pas une fille matérialiste, se défend-elle avec sa voix de petite fille, un moment après.

— Je le sais bien.

Si elle l'était, elle n'offrirait jamais tant de cadeaux à Myron sans raison.

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