Chapitre 24 - Un moment de répit (1)

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Je ne savais pas où aller. Je me suis retrouvée sur Red Beach et je remercie quiconque m'écoute d'avoir fait en sorte qu'elle soit déserte, débarrassée de tous ses fêtards et ses soûlards qui n'entendront pas mes sanglots de désespoir. Car mon cœur agonise.

À bout de souffle, je m'étends dans le sable, tandis que les vagues froides me lèchent les pieds. Si elles pouvaient emporter avec elles la douleur qui me troue le cœur, je leur en serais éternellement reconnaissante.

Entre le concert, mes cris et ceux de mes parents, mes oreilles n'ont pas eu d'autre choix que siffler.

Les lampadaires, plus loin, me permettent de ne pas me retrouver complètement dans le noir.

— Qu'est-ce que tu fous ici à une heure pareille ?

Leandro s'assoit à ma gauche, les bras sur les genoux. Il creuse un petit trou dans le sable pour y placer sa cannette de bière.

— Je pourrais te poser la même question. Je fuis mes problèmes.

— T'es soûle ?

Alors qu'il se penche vers mon visage pour vérifier mon haleine, je me redresse au même moment et nous nous cognons la tête.

— Aïe.

— Aïe, confirmé-je.

Il se masse le front. Le mien, aussi douloureux soit-il, ne parvient pas à surpasser le poids qui me déchire la poitrine.

— Qu'est-ce qui te fait croire que je suis soûle ? Je ne bois pas.

Il renifle, ce qui me rappelle qu'il est enrhumé.

— Je passais dans le coin, j'ai vu quelqu'un inerte dans le sable, j'ai cru à un coma éthylique.

— Tu n'as pas assisté au concert ?

— Pourquoi j'y assisterai ? lance-t-il, moqueur. Leur chanteur ne bouge jamais un muscle et leur bassiste danse bizarrement.

J'esquisse un sourire en traçant des formes dans le sable.

— Il a dansé, ce soir.

— Nathan ? Déjà qu'il était muet comme une tombe au lycée, c'est dur à imaginer.

— Tu les as connus ?

— Seulement les plus jeunes, mais je ne leur ai jamais parlés, on se croisait seulement dans les couloirs du lycée.

Il boit une gorgée de sa bière.

— Excusez-moi ?

En même temps, Leandro et moi nous tournons vers la personne qui nous a interpelés. Dos à la lumière, je ne distingue pas très clairement son visage, seulement ses cheveux blonds. Elle tient un sac poubelle dans une main, un téléphone dans l'autre.

— Je viens de retrouver un téléphone, il n'appartiendrait pas à l'un de vous ?

— C'est le mien, constaté-je. Merci.

— Ah, ben tiens.

Sa voix est si douce qu'elle pourrait bercer enfants comme adultes. La jeune inconnue s'accroupit derrière nous, entre Leandro et moi. Ses longs cheveux, dont la racine est dissimulée sous une capuche, me chatouillent l'épaule.

— Par pure précaution, je vais quand même vérifier qu'il est bien à toi.

Comme preuve, je tape mon code pour le déverrouiller. Les appels manqués et les messages remplissent mon centre de notifications. Je ne prête pas attention aux noms, que je refuse de voir. À l'heure qu'il est, Elliot a sans doute raconté notre altercation à Roldán.

— Je suis rassurée. Bonne soirée !

En guise de merci, Leandro lui lève sa cannette.

Je jette mon téléphone dans le sable, face contre terre.

— Elle ressemble à la guitariste d'EWK, glissé-je à Leandro.

Maintenant qu'elle est partie, il ne peut me le confirmer. Alors, après l'avoir examinée de dos, il hausse les épaules et porte sa cannette à ses lèvres.

— Quel genre de problèmes ? finit-il par me demander, le regard sur l'horizon.

Je me mords la lèvre, ravalant les larmes qui me montent aux yeux.

— De cœur.

Et familiaux. C'est une partie que je garde pour moi. Un problème à la fois.

Sa tête pivote vers la mienne. Mes doigts brisent la première chose qu'ils trouvent : une brindille.

— Qu'est-ce que mon imbécile de frère a fait ?

Mes lèvres tremblotent à cause du barrage que je dresse contre la tristesse. Il a tout de suite accusé son frère, sans même paraître surpris. La seule idée que Roldán ait commis plus d'une faute me donne un haut-le-cœur. Mon barrage, il ne tient plus, il va se faire submerger.

— Mon dieu, tu vas te mettre à pleurer ? coasse Leandro, une pointe de panique dans la voix.

Je lève la tête, renfrognée.

— Ce n'est pas un jugement. C'est juste que les personnes tristes me rendent mal à l'aise, je ne sais jamais quoi dire.

Je grimace. Ça y est, je n'en peux plus. Je n'ai plus la force de résister.

— Ne... pleure... pas ? essaye Leandro.

Un rire bref se glisse entre mes sanglots.

— En effet, tu es mauvais, parviens-je à dire.

— Désolé.

Avec hésitation, sa paume dessine des cercles dans mon dos, puis se déplace vers mon épaule et, doucement, il m'attire vers son torse.

Mon dieu, qu'est-ce que j'ai honte, qu'il me voit dans cet état, à répandre mes larmes sur sa chemise.

Mes sanglots étouffés se mêlent au bruit des vagues et aux sifflements de nez de Leandro.

— J'ai épuisé mon stock de mouchoirs, désolé.

Un nouveau rire.

— Je suis censée pleurer, pas rire.

— Désolé. Je t'en prie, reprends.

Et un autre. Avec son cœur qui tambourine sur mon oreille, je ris davantage. La tristesse le rend anxieux, c'est une première pour moi.

— Je te le jure, je n'essaie pas de jouer aux pitres !

Cette fois-ci, meslèvres s'étirent alors que les larmes me chatouillent le nez. Il s'est tu, sansdoute pour m'accorder mon moment dramatique. Je ferme les paupières. Pendantquelques minutes, nous restons dans le silence. Je profite de ce moment derépit car j'ignore si j'en aurais droit une fois rentrée.

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