Lemon & Waffles

Chapitre 18 - Frères (1)

Dieu merci, les garçons n'ont rien vu. Une silhouette féminine se trouvait dans l'encadrement de la porte. La lumière s'est allumée et la mère d'Elliot s'est demandé ce que nous faisions dans sa maison. C'était une blonde avec les cheveux coupés à la garçonne, et un piercing au nez.

— Leandro, qu'est-ce que tu fais ici ? l'a-t-elle interrogé.

Il n'a pas répondu, encore trop bourré pour avoir les idées claires. Ouais, ça doit être ça. Je ne plais pas à Leandro Waffle. C'est impossible. Il ne m'a jamais montré d'intérêt. Il n'avait pas les idées claires quand il m'a embrassée. Ça m'étonnerait qu'il sache où on l'a emmené. J'espère vraiment ne pas confondre ces faits avec des illusions.

J'ai eu la honte de ma vie. Non seulement je me trouvais dans sa maison, moi, une fille qu'elle n'avait jamais rencontrée, et en plus je venais d'embrasser un garçon sous son toit ! Non pas que je sois celle qui ait initié ce baiser. Je n'y ai même pas répondu. La surprise m'avait immobilisée. Un sentiment de culpabilité m'a dénué de parole. Je ne devrais pas me sentir ainsi. Je n'y suis pour rien, non ?

Avait-il réellement cherché à m'embrasser ? Peut-être que c'était un accident, qu'il était en train de tomber. Et, par mégarde, ses lèvres se sont retrouvées sur les miennes. Après tout, ce n'était qu'un bisou ! Quelles étaient les probabilités pour que ça arrive ? Je ne préfère pas y réfléchir.

Le goût de l'alcool sur mes lèvres me donne la nausée. Non pas que Leandro me dégoûte, mais je n'aime pas l'alcool. C'est mon ami, j'échoue à le voir autrement. Maintenant, je regrette ne pas avoir agrippé Roldán par la nuque et pressé mes lèvres contre les siennes dans ce photobooth.

— Jeune fille, que faites-vous chez moi à cette heure-ci ?

— Je...

Puis, Roldán et Elliot ont débarqué.

— Maman, c'est Casey, une amie à moi.

— Tu es là, toi aussi, constate Madame Wachsmuth.

Roldán s'est mordu la lèvre inférieure, ses yeux jonglant entre chaque acteur de cette scène. Lorsqu'ils se sont arrêtés sur moi, mon corps entier a viré au cramoisi. Si j'avais pu, je me serais glissée sous le lit.

Sait-il ? Bien sûr que non, il n'était pas dans la chambre. N'est-ce pas ? Mes pensées sont chamboulées.

— Je t'avais bien dit qu'elle allait se réveiller ! lui glisse Elliot.

— Elliot Duncan Wachsmuth, je veux une explication maintenant !

— Mon deuxième prénom, vraiment, maman ?

Elle croise les bras.

— J'attends.

— Bien joué, les mecs. Peut-être qu'on devrait soigner Leandro d'abord ?

Madame Wachsmuth réalise à l'instant que l'intéressé est blessé. Elle se précipite à ses côtés. La chaleur sous ma peau s'intensifie. Mes doigts se posent sur mes lèvres, espérant ne pas y trouver des taches de sang laissées par Leandro.

— Que t'est-il arrivé, mon pauvre garçon ? Votre mère ne va pas apprécier ça.

— C'est la raison pour laquelle on l'a emmené ici, explique Roldán. Je suis désolé, Madame Wachsmuth. Je comprendrai si vous nous renvoyez chez nous.

Elle secoue la tête.

— Les garçons...

Elle aide Leandro à se relever et l'accompagne jusqu'à la cuisine.

— Soyez gentils et raccompagnez cette jeune fille chez elle.

La minute suivante, je me retrouve à nouveau dans la voiture d'Elliot, mais pas en compagnie de Roldán. Sans que je ne sache pourquoi, je n'ai pas besoin de lui indiquer l'itinéraire de ma maison, car, d'après les chemins qu'il emprunte, il le sait déjà.

Mon cœur est lourd. J'aurais préféré que cette soirée se termine autrement. Roldán était préoccupé par son frère lorsque je suis partie. Je n'ai lancé qu'un « Bonne nuit » timide à tout le monde. Personne ne m'a entendue, sauf Elliot, plus proche, qui enfilait une veste par-dessus son pyjama.

Mon cerveau réinvente encore et encore la scène du baiser avec Leandro. Oui, il réinvente. Dans la semi-obscurité, je n'ai presque rien vu. Alors, oui, il invente. Je tente de le focaliser sur autre chose. Les étoiles sont belles – on les voit à peine. La radio grésille. Elliot tape une fois contre le ciel de toit, la musique reprend. Il chantonne. Quand la musique se coupe, il parvient facilement à chantonner le reste des paroles jusqu'à sa reprise.

— Quoi ? demande-t-il, remarquant que je le fixe. Je chante mal ?

— Non, rien, je réponds en me détournant, je ne faisais que repenser à la soirée.

Interdiction d'entrer dans les détails. Mieux vaut ne pas m'ouvrir au meilleur ami de mon... je ne saurais comment désigner Roldán. Parce que ce qu'il se passe entre nous est ambigu.

— Quelque chose a l'air de te tracasser.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Tes mains. Tu n'arrêtes pas de te bousiller les doigts depuis notre départ.

Je suspends mon geste. J'ignorais l'existence de ce tic. Elliot glousse, puis reprend son sérieux :

— Je suis sûr qu'il va t'envoyer un message d'ici demain.

Dieu merci, il pense que seul Roldán me préoccupe.

— Est-ce que tu es plus proche de Roldán ou de Leandro ? je me surprends à demander.

Je pince les lèvres, me maudissant de ne pas avoir pu tenir la langue.

— Dan et moi on a le même âge et on a passé toute notre scolarité ensemble. Mais Leandro est aussi mon pote. Pourquoi ?

— Je me posais juste la question.

Je doute qu'il soit prudent de lui demander s'il y a une chance que Leandro soit intéressé par moi. Il risquerait de tout répéter à son meilleur ami.

— Mademoiselle est arrivée à destination, annonce le conducteur alors que la voiture s'arrête dans un grincement devant la maison.

— Comment tu savais où je séjournais ?

Elliot se racle la gorge.

— Port Webster n'est pas aussi grande que tu ne le crois.

— Oh.

Il m'a tout de même l'air gêné. Je ne m'inquiète pas davantage et le remercie de m'avoir raccompagnée. Aimee et maman, qui m'attendaient dans le salon avec Ade, me bombardent de questions sur ma soirée. Je prétends être fatiguée et, sans prendre la peine de me doucher et de me mettre en pyjama, je me jette sur mon lit, un oreiller entre les bras. Un long soupir s'échappe de mes narines. « Pourquoi ? » est ma seule pensée.

Je ne veux pas rêver de ça.