Chapitre 32 (2)

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C'est avec le plus grand sourire que je découvre la nouvelle façade du Tiny Waffle. Cette devanture bleu turquoise au style français, cette grande vitrine à moitié dissimulée derrière des clients curieux, me rappellent aussitôt les premiers jours de mes vacances à Port Webster. Les lettres dorées du Tiny Waffle brillent au-dessus de l'entrée. Son logo, une petite gaufre ailée dessinée sur un panneau doré qui se balance au rythme du vent, s'accompagne désormais d'une boule de glace. La terrasse, délimitée grâce à des jardinières, est inoccupée étant donné que tout le monde est à l'intérieur.

Au centre de l'établissement, une femme qui se présente comme la maire de la ville fait un discours aux côtés des époux Waffle. À la recherche de Leandro, je n'écoute qu'à moitié. Je repère Mia appuyé contre le comptoir. Son visage s'illumine alors qu'elle s'aperçoit de ma présence et, après avoir attiré l'attention de quelqu'un, elle me désigne du doigt.

Je me faufile entre les clients, sans parvenir à atteindre la première ligne.

Une chaise émet un léger grincement contre le carrelage. La tête de Leandro m'apparaît de dos. Mia me désigne à nouveau du doigt et, il a beau chercher, il ne comprend pas ce que sa sœur cherche à lui dire. J'étouffe mon rire dans ma paume. Pour sa défense, les gens qui m'entourent sont immenses.

Madame Waffle leur jette un regard d'avertissement. Leandro s'approche du comptoir, puis Mia lui chuchote mon prénom. Cette fois-ci, ses prunelles vertes me repèrent sur-le-champ. Les commissures de ses lèvres se détendent pour former une ligne droite. Deux plis se creusent entre ses sourcils alors que ses yeux s'écarquillent. Mon cœur tambourine, je préfère en ignorer la raison.

Pendant un instant, je doute. Est-il heureux de me voir ? « Quoi ? », je l'aperçois prononcer sans un son. Mon sourire s'agrandit. L'ébahissement s'efface de son visage pour laisser place à la joie. Pourquoi ne le serait-il pas ? Il ne se passe pas un jour où nous ne nous parlons pas.

Leandro fait un pas en avant, puis se rétracte. Du monde nous entoure, la maire a laissé la parole à Monsieur Waffle. La chose logique à faire est d'écouter, mais nous nous lançons des œillades, comme pour s'assurer de la présence de l'autre, constater les changements, nous sourions.

Ses prunelles détaillent mes cheveux. À quoi pense-t-il ? C'est une réelle question que je me pose car, lorsque j'ai laissé Aimee tester un balayage prune dans ma chevelure, les regrets m'ont dénué de toute parole. Perturbé par ma nouvelle coiffure, Pineapple m'avait même aboyée dessus. Alors, je me demande ce que Leandro en pense. La honte m'a retenu de la lui dévoiler, avec un selfie ou de simples mots. Va-t-il se moquer de moi ? Ses iris ondulent, comme s'il suivait chaque boucle du regard, fasciné par leur teinte. Mes joues s'enflamment.

La conversation n'a jamais eu lieu. Mais je sais. Il sait. En une année, j'ai pris conscience de l'attachement que je lui porte. Et nous ne disons rien car nous partageons un problème : la culpabilité.

D'après ma sœur, aucune justification n'excuserait cette culpabilité qui me ronge le cœur. Elle qui n'a jamais apprécié Leandro, elle m'encourage à découvrir ce que l'avenir pourrait me réserver avec lui. Toutefois, selon moi, elle part du principe que Roldán m'a fait du mal, alors je devrais l'imiter. Malgré moi, je ne cherche à heurter personne. Alors, je n'agis pas.

Des applaudissements me tirent hors de mes pensées et je me joins aux spectateurs.

Quelques minutes plus tard, les premiers clients de l'année passent leurs commandes. À présent, le comptoir occupe moins de place et le nombre de tables à l'intérieur a doublé. Une longue file d'attente s'est formé en un clin d'œil. Si je veux avoir l'occasion de parler à mon ami, il faudra que j'aille en bout de file, c'est-à-dire dehors.

Quelqu'un me tapote l'épaule.

— Les vingt premiers clients ont droit à un menu Discovery Waffles gratuit, m'apprend Leandro, j'ai pensé à toi. Un petit traitement de faveur pour ma cliente favorite.

Entre ses mains, six petites boules de glaces colorées et six mini gaufres aux différentes saveurs dans un bol en carton.

— J'ai donc volé les Discovery Waffles de quelqu'un qui mourrait d'impatience de les avoir. D'un pauvre enfant qui a besoin de sa dose de sucre.

Un faux rictus d'embarras apparaît sur son visage, puis il me prend dans ses bras. Cette étreinte me donne l'impression de s'être perdus de vue pendant une décennie. Le bien-être, la sécurité que je ressens dans ses bras m'encourage à l'enlacer en retour, sans me soucier des gens qui nous observent. Sans me soucier de Roldán qui pourrait se trouver dans les parages. Mon cœur s'emballe. Je peux essayer toutes les techniques de respiration qui existent, il n'en fera qu'à sa tête.

Je sais. Il sait.

La séparation nous plonge dans la gêne. Leandro fait mine d'observer les clients, tandis que je « vérifie » si mes lacets sont défaits.

— On s'assoit ? propose-t-il.

J'acquiesce.

— C'était un défi ? m'interroge-t-il à propos de mes cheveux, le sourire en coin.

— Vas-y, moque-toi, le défié-je.

— Honnêtement, j'aime beaucoup.

Son sourire s'élargit tellement que je doute de sa sincérité. Je lui donne une petite tape au bras.

— Sérieusement.

Son regard, plongé dans le mien, m'a aussitôt mis en confiance.

— Les glaces commencent à fondre.

— On partage ?

— Quand je t'ai dit que les gaufres me donnaient la nausée, ce n'était pas un mensonge. J'ai fait une overdose quand j'étais plus jeune.

Je prends une cuillérée de glace à la menthe.

— Et ça ne te pose aucun problème de travailler ici ? Par rapport à l'odeur, je veux dire.

— C'est une habitude.

Sa main droite, bandée, attire mon attention.

— J'ai accidentellement renversé une poêle d'huile chaude sur ma main, m'annonce-t-il, peu fier.

Je grimace.

— Ça a dû faire très mal. Tu ne me l'avais pas dit.

— Tu ne m'avais pas dit non plus que tu t'étais teint les cheveux, me taquine-t-il en me donnant un coup d'épaule.

— Que ma sœur se soit servie de moi comme cobaye, rectifié-je.

— Et son expérience a été une réussite.

Plus il me complimente, plus j'accepte ce changement capillaire.

— C'est arrivé hier soir. Mes parents m'ont emmené aux urgences, on a dû attendre longtemps avant d'être pris en charge.

— Ça fait mal ?

Leandro plie ses doigts.

— Moins qu'hier. Ma mère m'a mis en arrêt maladie pour une durée indéterminée.

L'intéressée s'occupe des clients avec le sourire, entourée de son mari, de sa fille et de deux nouveaux employés.

— Ton frère n'est pas là, remarqué-je.

— Dan a aidé ce matin, il est parti peu de temps avant ton arrivée. En fait, ça fait presque huit mois qu'il ne travaille plus au Tiny Waffle.

Ma cuillère se plante dans la glace à la fraise recouverte de chocolat.

Lemon & WafflesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant