14 - Le désespoir d'un amoureux

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 Allongé dans mon lit, soumis à une fièvre puissante, je souffrais le martyre. Je pris mon portable et ouvrai la discussion où mes messages s'accumulaient sans aucune réponse d'Ariel.

Je gémis, entre douleur et peine puis reposai mon appareil. Depuis quatre mois, il était introuvable. J'avais questionné Erwann et Line qui avaient eux-mêmes été chercher des informations chez ses parents et l'explication nous avait tous choqués : il était parti. Selon ses proches, il aurait envoyé un mail un matin et, au lieu d'aller en cours, il avait quitté la ville. Il avait pris quelques affaires et nous avait tous abandonné.

Les premiers jours, j'avais cru à une blague, mais plus le temps passait, plus la vérité me hurlait qu'il ne reviendrait pas et que je l'avais perdu. Ce sentiment de défaite et de peur s'insinuait en moi, assez profond pour m'infliger une douleur physique réelle.

Je portai la main à mon cœur et inspirai avec calme. Mes ruts me rendaient fou. J'avais passé le plus difficile et je reprenais peu à peu le contrôle de mon corps et de mon esprit, mais les griffures sur mes bras et les regards de ma famille ne trompaient pas ; je venais de vivre la pire semaine de rut de mon existence.

La porte de ma chambre sombre s'ouvrit sur Maud, les traits tirés par l'inquiétude. Elle s'approcha de moi et s'assit au bord de mon lit avant de poser une main réconfortante sur mon front humide de sueur.

— Ta fièvre baisse, c'est bon signe. Ta semaine se termine. Comment tu te sens aujourd'hui ?

Je n'avais même plus envie de lui répondre. Comment expliquer ce que je vivais ? Mon oméga se trouvait quelque part, loin de moi et cette situation me donnait l'impression que mon cœur m'était arraché morceau par morceau.

— Maud... Tu penses que c'est de ma faute ?

Mon air sombre lui extirpa un soupir de tristesse. Elle serra ma main dans la sienne avec douceur.

— Je... Je ne sais pas quoi te dire pour te remonter le moral. Sherkan a promis qu'il ferait tout ce qu'il peut pour le localiser. Aie confiance en lui, d'accord frérot ? On va le retrouver, ton oméga. Il n'a pas pu aller bien loin...

Elle déposa un baiser sur mon front, puis m'encouragea à dormir encore un peu. Quand elle quitta ma chambre, le silence m'engloutit. Je ne cessai de ressasser nos derniers moments ensemble, puis notre unique nuit. Peut-être que je l'avais blessé sans le savoir ? Je n'étais même pas certain de me souvenir de tout. La seule chose dont j'étais sûr, c'était que son absence rendait mon existence d'alpha, difficile, et d'homme, invivable.

Ce ne fut que bien plus tard, ce soir-là, que mon père me rejoignit. Il posa sa grande main sur ma tête et prit la place que Maud occupait plus tôt.

— Tu as de bonnes nouvelles pour moi ? demandai-je, avec un vague espoir.

— Je ne l'ai pas encore trouvé, m'apprit-il d'un ton désolé. Je te promets que je fais mon possible. Le privé que j'ai engagé doit être un incompétent, je l'appellerai.

— Papa, est-ce que tu souffrais comme ça, toi aussi ?

Il me sourit, compatissant, et essuya mon front avec un linge frais.

— Ton père..., commença-t-il avant de se raviser. Tu sais ce qu'il a traversé, ce que ça lui a coûté et lui coûte encore aujourd'hui.

Sa nuque abîmée me revint en mémoire. Dès que j'avais eu l'âge de comprendre ce qu'il avait vécu, ils m'avaient expliqué tout ce qui s'était déroulé avant ma naissance. Après cette longue discussion, je m'étais promis d'être un alpha digne de confiance. J'avais grandi en ayant la chance de côtoyer un couple heureux et qui privilégiait la communication lors des conflits. Bien sûr, nous n'étions pas toujours d'accord, mais nous respections les avis des autres. Je n'étais pas parfait, mais je m'efforçais de le devenir.

— Ma première période de rut après que je l'ai rencontré ressemblait un peu à ce que tu vis, me dit-il, la tête dans ses souvenirs. Mon instinct me hurlait de le faire mien par tous les moyens possibles et j'ai souvent eu peur de céder à la tentation. Ça aurait été facile, surtout à l'époque. Il n'aurait jamais eu la force physique ou mentale de m'arrêter.

Oui, ça, ça me parlait. Mon père pinça les lèvres, en proie à des souvenirs douloureux.

— Quand on a couché ensemble, j'ai cru que je n'arriverais pas à m'empêcher de le mordre, avouai-je à voix basse. En me réveillant le lendemain, j'ai eu peur de l'avoir fait. Je n'ai... Je suis perdu... Je ne comprends pas ce qu'il se passe avec Ariel. Je n'ai jamais ressenti ça, même les fois où j'étais avec des oméga dominants. Ça me terrifie. J'ai l'impression de perdre toute l'humanité que je possède et de me transformer en un animal... Si je finis par lui faire du mal... Si je lui en ai déjà fait...

— Lourd est le poids qui pèse sur les alpha, dit-il en me poussant à me rallonger. Repose-toi, mon fils. Tu en as besoin. Nous aurons tout le temps de parler quand tu auras repris des forces et l'esprit clair.

Il se leva et je lui attrapai le bras.

— Papa, trouve-le. Je t'en prie.

— Je te le promets.

Une semaine plus tard, je buvais un café en compagnie de la bande. Complètement remis de mes ruts, je ne l'étais pas de l'absence de mon oméga. Je souffrais physiquement de son rejet et rien ne parvenait à me dérider.

— Et leur maison de vacances dans le sud ? demanda Line. On pourrait y retourner ? Peut-être qu'il y est... On est à la fin de l'été après tout...

Erwann serra du poing sur la table, impuissant devant le manque d'information.

— Je crois qu'on ferait mieux d'abandonner. Ça va bientôt faire cinq mois qu'il est parti, s'il souhaitait que nous fassions encore partie de sa vie, il nous aurait contactés. Il connaît mon numéro par cœur...

Line renifla, contenant difficilement ses larmes et mon cœur se comprima. Elle posa sa main sur la mienne et me sourit, les yeux embrumés. Nous souffrions tous de son absence, à différents niveaux.

— Abandonnez si vous voulez, mais je ne peux pas, déclarai-je en serrant les doigts de Line.

Je n'acceptai ni son départ, ni son silence, ni son rejet. J'étais bien décidé à le retrouver, coûte que coûte.

Suite à cette promesse que je m'étais faite, des semaines, des mois, puis des saisons passèrent. Petit à petit, la douleur physique fut plus supportable, mais elle ne disparut jamais. La souffrance mentale, par contre, ne cessa de grandir. Elle se transformait parfois en colère ou en désespoir, mais elle me tenait debout, vivant.

Ce ne fut qu'au bout de cinq ans que mon père entra dans mon bureau. Son regard déterminé me fit relever la tête. Il s'assit sur la chaise en face de moi et inspira. Je haussai un sourcil, occupé à finaliser un rapport.

— Un problème, papa ? demandai-je en apposant le point final à mon document. Je suis à toi dans une seconde.

J'envoyais le document au service concerné, puis lui accordai de l'attention.

— Fils, ton attente prend fin aujourd'hui, me dit-il, solennel.

Il me tendit une feuille où une adresse était inscrite. Je fronçai les sourcils. Je connaissais ce village. Je saisis mon portable pour lancer mon GPS, mais il attrapa mon poignet et son air se fit grave.

— Le temps a passé pour lui aussi. Je ne sais pas ce que tu trouveras là-bas. Il y sera, c'est certain, mais...

— Je sais, dis-je d'un ton calme. J'en suis conscient. Merci papa. Je serai de retour demain matin.

Je me levai, pris les clés de ma berline et quittai l'entreprise.

Bound [MxM - α/Ω] [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant