Justine

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Justine fut réveillée par les cris paniqués de sa fille. Elle se leva d'un bond, à moitié endormie et se cogna le genou contre le bord de la table de nuit. 

- Merde! Chuchota t'elle en se frottant la jambe.

- Maman! Maman! Les cris de Louise se transformèrent en hurlements.

Justine se mit à courir affolée par les pleurs de sa fille qui s'intensifiaient. Jules, son fils était déjà debout, effrayé par les cris de sa petite soeur. Il regardait la porte de la chambre de Louise, comme si un monstre s'y tapissait. Il n'osait pas entrer, pétrifié par l'intensité de ses cris. Ses yeux noisette en amande bouffis par le sommeil, étaient remplis de larmes. Il pinçait tellement les lèvres qu'elles en blanchissaient, faisant ressortir le brun de sa peau. 

A huit ans, il savait déjà la chance qu'il avait d'être un garçon et en avait souvent honte. Il rêvait, que peut-être plus tard, tel un chevalier des temps modernes, il arriverait à les sauver. Mais il revenait bien vite à la réalité, se disant que même son papa ne le pouvait pas. Et plus sa soeur grandissait, plus il devenait taciturne et angoissé. Justine s'arrêta quelques secondes pour rassurer son fils. Elle passa une main dans ses cheveux bouclés et le serra contre elle. Il lui ressemblait tellement!

- Ne t'inquiète pas mon chéri, ça va aller. Retourne dans ta chambre, je reviendrai te voir dès que Louise sera calmée. Ce n'est qu'un cauchemar. Dit-elle en s'élançant à toutes jambes dans la chambre de sa fille.

Louise criait tant qu'elle n'avait pas vu sa mère entrer.

- Ma chérie, c'est maman. Lui dit Justine en lui découvrant doucement la tête.

Louise se jeta dans les bras de sa mère et la serra de toutes ses forces en sanglotant. Justine glissa son visage dans les boucles brunes de sa fille et s'imprégna de son odeur. Elle lui caressa le front en la couvrant de baisers, et attendit que ses pleurs se calment. Elle aurait tellement voulu lui dire qu'elle la protégerait toujours, que tout irait bien.

- Que se passe t'il ma princesse? Tu as encore fait un cauchemar?

Elle savait qu'elle ne devait pas la brusquer, sinon sa petite allait se renfermer. Du haut de ses six ans Louise la regarda entre ses larmes, et son regard était si triste que Justine en eut le coeur brisé.

- J'ai rêvé que j'étais dans une grosse boite en verre et qu'on m'emmenait loin de vous.  Un géant voulait me manger et j'essayais de courir le plus vite possible pour ne pas qu'il m'attrape. J'étais dans une forêt au milieu de très très grands arbres comme dans l'histoire des enfants perdus que tu me racontes. J'ai rêvé...

- Chut ma princesse. Doucement. Ne pleure plus, ce n'était q 'un cauchemar. Je suis là. Il n'y a ni géant, ni monstre ici. Tu reviens dans le lit, et tu me laisses une petite place près de toi? Dit Justine en tirant doucement sa fille vers elle.

Louise sortit de sa cachette, et suivit sa mère les yeux plein de larmes, encore effrayée par les ombres de son cauchemar. Elle remonta dans son lit. Justine la recouvrit de sa couette et se glissa près d'elle. Elle lui caressa les cheveux, et lui fredonna une berceuse que sa mère lui chantait quand elle était petite. Elle sentit que sa fille se détendait peu à peu. Elle ne bougea plus de peur de l'empêcher de se rendormir. Puis elle sentit le souffle de sa petite devenir de plus en plus régulier. Comme elle était bien contre ce petit corps chaud. Elle l'aimait tellement, et pourtant, elle avait tant souhaité ne pas avoir de fille! Si elle avait eu le choix, elle n'aurait pas fait d'enfant du tout. Mais on n'enfreint pas la Loi Suprême! 

"Précepte 3:  toute épouse doit obéir à la volonté de son mari et porter autant d'enfants qu'il le désire. Une femme mariée est dans l'obligation d'avoir au moins deux enfants. Si elle n' y arrive pas, elle est envoyée dans une maison Dépotoir. Après son premier enfant , si elle ne retombe pas enceinte une seconde fois, on la sépare de son premier enfant dont la garde est exclusivement réservée au père. Le mari peut décider de faire ce que bon lui semble de sa femme. " 

 Justine avait eu si peur lors de sa première échographie, priant pour ne pas avoir de fille. L'annonce d'un garçon l'avait emplie de bonheur et son mari aussi. Peu de temps après, contraints, ils avaient du faire un deuxième enfant. Lors de cette seconde grossesse, ils espérèrent follement, désespérément qu'ils n'auraient pas de fille. La veille de l'échographie du cinquième mois, aucun des deux ne dormit, terrorisés. Puis ce fut l'heure de se rendre à l'hôpital. Ils attendirent deux heures qui leur parurent interminables, assis chacun de leur côté sur des chaises, dans un couloir blanc et froid. Puis ce fut leur tour. Justine crut qu'elle allait défaillir, Vincent n'en menait pas large non plus. Dès le début de l'échographie, en croisant le regard contrit de l'obstétricien, elle avait su. Elle s'était tournée vers son mari qui était encore plein d'espoir. Le verdict tomba: une fille. Justine revoyait encore la détresse dans les yeux de son mari et sa volonté de la cacher. Car dans leur monde, un homme ne doit ni aimer, ni aider sa femme et encore moins compatir. Une épouse devait servir dans tous les sens du terme. Un homme pouvait être condamné à la prison, ou à des peines sévères s'il montrait le moindre signe d'affection. Et que deviendrait sa famille sans lui? 

Justine avait pris sur elle pour ne rien montrer de son désarroi. Ils sortirent sans se regarder et montèrent dans la voiture. Lui, à l'avant, elle à l'arrière, comme la Loi le stipulait, cachée du monde par des vitres opaques. Quand enfin ils furent chez eux, à l'abri des regards, ils laissèrent libre cours à leur détresse. 

- Justine, viens te coucher maintenant. Louise s'est endormie et J'ai recouché Jules. Lui dit Vincent adossé au chambranle de la porte la tirant de ses pensées.

Il lui tendit la main pour l'aider à se lever, l'attira vers lui, l'enlaça et l'embrassa doucement. Il ne pouvait pas se passer de son odeur. Il la regarda à la lueur de la veilleuse de leur fille, admira ses grands yeux noisette en amande, la pâleur de sa peau, ses lèvres voluptueuses. Elle lui sourit faiblement, le coeur gros de toutes les souffrances qui les attendaient, et se détacha doucement de lui, de ses mains rassurantes qui tenaient son visage en coupe.

- Je te rejoins. Je vais embrasser Jules

- Ne t'endors pas avec lui. Viens te recoucher.

Mais il n'avait pas grand espoir, car il savait que quand elle était dans cet état, seule la présence de ses enfants l'apaisait. Il la suivit dans le couloir jusqu'à la chambre de leur fils, et regarda son grand corps souple se glisser sous la petite couette. Il se sentait tellement impuissant. Il aurait Tant voulu trouver une solution. Il repartit se coucher désespéré , sachant que le sommeil ne viendrait pas. 

Chaque jour était un calvaire pour lui. Voir sa femme et ses enfants malheureux lui était insupportable. Jules lui avait demandé un jour pourquoi sa maman et sa soeur étaient obligées de vivre comme ça. Vincent n'avait pas pu lui répondre. Aucune réponse n'était valable. Il lui avait juste expliqué qu'il ne fallait surtout pas parler de sa vie à la maison. Mais Jules était petit. Il n'avait pas pu s'empêcher de raconter ses jeux avec Louise. Il avait appris à ses dépends à l'école, qu'il faut suivre les préceptes de la Loi et ne jamais parler ni de sa mère, ni de sa soeur et surtout pas positivement. Le maitre avait laissé les autres garçons le rouer de coups pour servir d'exemple. On l'avait reconduit chez lui contusionné et avec un bras cassé et exclu de l'école pendant trois semaines. A cette époque Vincent n'était pas arrivé  à trouver les mots pour consoler Jules. Depuis cet épisode, Jules avait grandi trop vite mesurant le danger auquel sa maman et sa petite soeur étaient exposées. Vincent essaya de penser à autre chose, il fallait qu' il reste concentré, une journée très difficile les attendait demain. Il regarda le plafond et enfoui son visage dans l'oreiller de sa femme. Son odeur y flottait encore. Il essaya de calmer les battements de son coeur et ferma les yeux pour se remémorer leur rencontre. Enfin, si on pouvait appeler cela de cette manière. Il chercha un mot pour définir ce qui se passait dans la salle des Catalogues, et comment s'organisaient les mariages. Il n'en trouva aucun   

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