Monter

53 12 0
                                    

Mahé est parvenue à dormir quelques heures malgré le froid. La voix de Camille la tire de son sommeil :

- Réveille toi vite! Il y a de l'eau qui arrive de partout! En moins de dix minutes, le sol du hall s'est rempli de cinq centimètres. Et ça monte de plus en plus régulièrement. Ils essaient de nous noyer!

- Impossible! Nous sommes dans un jeu, avec des règles. Nous devons juste trouver ces foutus papiers! Persifle Julienne.

- Pas le temps de discuter, il faut gravir plusieurs étages pour se mettre à l'abri. L'interrompt Anae.

Elles se mettent toutes à courir vers l'escalier pataugeant dans l'eau gelée qui arrive sur le contrefort de la première marche. Elles grimpent aussi vite qu'elles le peuvent. Elles stoppent leur ascension au cinquième étage trop essoufflées pour continuer.

- C'est quoi encore ce merdier! Il faut s'arrêter deux minutes et réfléchir. Comment peut-on trouver ce qu'on cherche si on passe notre temps à fuir ? Il y a un gros problème, l'épreuve ne peut se terminer que si on sort, mais le hall et bientôt tout le premier étage seront engloutis ! Peste Camille

- Si on essayait de quadriller toutes les pièces de chaque palier, par groupe de deux, le plus rapidement possible à la recherche de nos bons de sortie et que, deux autres se mettent en quête d'un moyen de sortir. Il faut regarder partout! Il y a forcément des issues ou des escaliers de secours extérieurs.

- Moi, je ne fais équipe avec personne ! Tout ce que je veux c'est ce maudit papier et rentrer chez moi. Faites comme vous voulez, à partir de maintenant c'est chacune pour soi. Dit Rose.

- On n' y arrivera jamais si on ne reste pas ensemble. L'eau monte trop vite! Argue Mahé.

- Moi c'est pareil, je me tire ! Qui me dit que vous n'essaierez pas de me tuer si je trouve un des documents! Crache Julienne de sa voix mauvaise.

Sans attendre elles recommencent à gravir les marches sous les yeux médusés de leurs compagnes. Celles qui restent se répartissent les chambres par numéros. Camille et Mahé s'occupent de celles du fond. Elles sont toutes similaires; un grand lit, deux commodes, une armoire, un bureau et une chaise. Enfin, ce qu'il en reste. Ainsi qu'une salle de bain d'un côté, des toilettes de l'autre.

- Je suis congelée pas toi ?

Mahé lui fit signe que oui, montrant ses mains rougies par le froid.

- On devrait chercher de quoi se couvrir. N'importe quoi, un morceau de couverture, ou de serviette . Dit-elle en grelottant.

Elles soulèvent ce qui a dû être un dessus de lit qui, tout comme le drap dessous part en miettes. Camille s'obstine jusqu'au surmatelas. Quelques lambeaux sont récupérables. Elles s'entourent les pieds et les mains avec, et reprennent leurs recherches . Elles en sont à la sixième chambre, quand la voix de Lily se fait entendre :

- Il faut monter, l'eau arrive déjà presque au quatrième, vite !

Toutes se rassemblent dans le corridor .

- Vous avez trouvé quelque chose, une issue ? Demande Sonia

- Oui. Mais repartons vite vers les niveaux supérieurs. Je vous expliquerai en montant.

Tout en se déplaçant, Lily leur révèle qu'il y a des échelles à tous les étages qui partent de certaines chambres, situées vers le milieu du bâtiment.

- Par contre il faut aller plus vite pour fouiller et espérer que leurs foutus papiers n'étaient pas dans les niveaux inférieurs. Nous devons continuer. Allez !

Un hurlement les stoppe net dans leur élan. Un cri de grande souffrance qui les pétrifie. Puis un autre et encore un autre, suivis par des plaintes lancinantes. On dirait qu'elle se répercutent partout, que le bâtiment n'est plus que gémissements.

- C'est quoi ça encore ? Demande Anna.

- Ils ont mis des micros. C'est pour ça qu'on entend si bien. Dit Sonia.

Les lamentations se sont transformées en chuchotements:

- Non...Non...Non...Non...Pas ça....Non.

- C'est la voix de Julienne on dirait.

Des halètements à peine perceptibles se font entendre. 

- Au secours!

La fulgurance de ce nouveau cri amplifié par les micros, les fait toutes sursauter.

- Aidez moi! Je sais que vous m'entendez, elle est morte et je suis blessée! Nous sommes au huitième étage, presque au bout du...

Elle ne peut terminer sa phrase et se remet à hurler et à pleurer. Rose se parle maintenant à elle même tout doucement .

- Tais toi...Chut...Ils vont te punir ..Chut...

Sa voix, à elle seule suffit à leur faire peur. Une voix d'outre tombe au bord de l'hystérie.

- Chut...Je les vois...Chut...Ils arrivent...Chut...On ne peut pas sortir.

Et des sanglots, suivis par des cris déchirants se déversent dans le couloir, insoutenables.

Les femmes qui s'y trouvent sont terrassées par la peur. Entendre et ne pas voir est pire que tout. Justine prend les choses en main.

- On va y aller, on peut peut-être leur porter secours. Mais à mon avis ils ont dû installer des pièges, et nous tendent une embuscade.

- On n'a qu'a emporter des objets qu'on pourra lancer devant nous pour voir par où on peut passer sans se faire massacrer.

Toutes récupèrent ce qu'elles trouvent. Cassant, arrachant des bouts de chaises pourries, prenant des lampes rouillées. Elles ressemblent à une armée de pauvres hères. Le bruit de l'eau continue à les accompagner. Elles entreprennent de monter les escaliers en restant en file indienne, marchant bien dans les pas de celles qui les précédent. Quelques marches encore et elles discernent la porte donnant sur l'étage.

- On va se coller contre le mur et pousser le battant doucement. Dit Camille.

Les gonds grincent en tournant. Ce bruit sonne comme un glas et elles pensent toutes sans le dire qu'ils les ont entendues arriver. Collées contre le mur et n'osant plus faire un pas, elles retiennent leur respiration. Elles restent là un moment, immobiles, partagées entre la peur de savoir et celle de mourir, à écouter les chuchotements de Rose.

- Allez, il ne faut pas croupir ici. Dit Justine en s'engageant dans le couloir.

Le corridor est immense, elles ne peuvent pas vraiment distinguer ce qui se situe à l'autre bout. Une forme semble être allongée sur le sol et quelque chose pend du plafond.

- Je ne veux pas voir. Dit Anna en pleurant. Je ne peux pas. Je ne peux plus. Je veux rentrer chez moi, arrêter ce jeu de massacre.

- Tu n'as pas compris les règles? Lui répond 1223 d'une voix cassante. Tu ne sortiras d'ici que si tu as un des papiers ou si tu es morte! Le jeu ne s'arrêtera pas avant!

- C'est bon! Dit Anaé pas la peine de s'énerver! Passer tes nerfs sur elle ne servira à rien! On continue.

Elles sont presque au ralenti, ne sentant plus, ni le froid, ni la faim, le regard juste braqué sur ce qu'elles vont trouver. Puis elles voient. Lily se met à vomir dans le couloir et Camille est obligée de s'asseoir, les jambes coupées par un vertige. Mahé, elle ne peut détacher les yeux de la scène.

Tout ce rouge. Tant de sang . Et en bruit de fond les chuchotements de Rose, assise contre le mur, le visage enfoui, entre ses bras.

L'ÉmancipationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant