L'Émancipation

Des réponses

Décide toi. Attrape le ! Il ne va pas te manger se rabroue Mahé. Mais la peur la paralyse. Elle regarde autour d'elle sans rien y voir de dangereux. Elle tend sa main tremblante vers le livre. Elle le saisit et ne peut s'empêcher de couper sa respiration. Elle le serre à présent et rien ne se passe. Elle compte jusqu'à dix . Il est toujours là . Elle caresse les lettres de nacre et ouvre la première page. Quelques mots à l'encre fanée y sont inscrits.

" A chaque fois que tu doutes , relis ce livre, il saura te guider. Avec toute mon amitié." Antoine.

Mahé cherche le nom de l'auteur :inconnu. Pas de préface non plus. Rien. Juste ce titre :

"L' Ancien Monde ou une autre façon de voir la vie."

Elle cale deux coussins derrière son dos et s'installe confortablement sur le lit. Elle bouquine jusqu'à trois heures du matin sans s'arrêter. Elle a mal à la tête à force de se concentrer pour essayer de comprendre le sens de certains mots. 

C'est incroyable!

Elle apprend que les femmes même si elles n'avaient pas toujours eu les mêmes droits que les hommes, surtout dans certains pays, pouvaient ,en France tout du moins, vivre comme elles l'entendaient. Elles choisissaient d'élever leurs enfants ou de travailler ; certaines avaient même fait partie du gouvernement. Un pays, dont elle ne se rappelait plus le nom avait aussi eu une Reine. Le livre était illustré de magnifiques clichés, où l'on voyait des femmes au volant de voitures, en train de fumer, ou à la terrasse d'un restaurant. Il y avait d' anciennes affiches publicitaires avec des filles sublimes, portant des robes excentriques et chamarrées ou tellement minuscules qu'elles ne couvraient quasiment rien. Que de visages de femmes libres et heureuses! Elles pouvaient être professeurs ,étudier, devenir qui elles voulaient.

Ce livre est une révolution pour son esprit. Pourquoi le lui laisser feuilleter?

Elle continue à le parcourir avec avidité pour pouvoir finir la centaine de pages qui lui restent avant son départ. La fin est totalement différente du reste. Il y a des graphiques auxquels elle ne comprend rien, des schémas bizarres, des articles de journaux. Elle les déchiffre un par un espérant en apprendre un peu plus . Elle tombe sur un article daté du 1 er septembre 2083, qui titre:

"Naissance et consécration d'une dictature."

" Depuis cinq ans déjà , La dictature s'est mise en place .  Le changement fut pernicieux et s'est opéré en plusieurs temps . Au début, une campagne de propagande s'est installée sans que les gens ne s'en rendent vraiment compte . Tous les jours, par tous les moyens de communication, possibles et inimaginables, les français, ainsi que tous les habitants des autres pays, furent conditionnés par des images de pauvreté absolue et par un scénario catastrophe dépeignant un monde qui, dans le futur deviendrait invivable, sans argent et sans économie stable. Un Monde, et surtout leur pays, la France ,ultra polluée, où bientôt , l'on ne pourrait presque plus sortir de chez soi. Une société sans avenir pour ses propres enfants. Petit à petit, la graine de la peur s'est mise à germer. Le gouvernement l'a laissée grandir, se fortifier et après cette première campagne de déstabilisation, une seconde a pris le relais appelant à la responsabilisation individuelle .La seule possibilité pour un avenir meilleur. Après deux années de matraquage médiatique et de lavage de cerveau , à l'école ,au travail et sur toutes les chaînes d'information, l'Etat a expliqué qu'il devait supprimer certains emplois en commençant par ceux des femmes dans les secteurs, soi-disant, les plus touchés, sous prétexte que la société se portant mal  on ne pouvait plus rémunérer ces métiers.

La France  se rebella  et organisa de nombreuses manifestations qui n'empêchèrent pas la suppression des postes. Quelques mois passèrent  et les gens se lassèrent de revendications stériles  qui ne menaient qu'à des restrictions de leur propre budget familial. Quand l'Etat sentit qu'une brèche s'était enfin ouverte et que le peuple commençait à faiblir, Il procéda à une mise au chômage massive des femmes. Nombre d'hommes et de femmes s'unirent pour se battre contre ces mesures drastiques. Des grèves à répétition éclatèrent, les transports furent paralysés, l'économie aussi, plongeant de plus en plus la France dans le chaos, et ce, jusqu'à tellement l'affaiblir, que tous durent se rendre à l'évidence: Il fallait céder. Les politiques décidèrent de ne plus verser de salaire aux maris dont les épouses continuaient à se présenter à leur travail. L'Etat argua de sa bonne foi en montrant qu'il n'y avait pas assez d'emplois pour tous et que les mères seraient plus utiles au foyer. Le manque d'argent poussa les femmes à ne plus se rendre sur leur lieu de travail et à se plier à la volonté du gouvernement. Tous finirent par obéir n'ayant pas d'autre choix, se persuadant que c'était un sacrifice utile et que plus vite ils participeraient à l'effort collectif, plus vite la situation redeviendrait normale. Mais l'Etat ne faisait que nous manipuler, nous pousser à accepter. Il avait anticipé nos réactions. Son plan était bien plus grand que cela.