Le message

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    Mahé entrouvre les yeux pour regarder l'heure. 5h10. Tout est calme autour d'elle. Elle se sent mieux, moins fatiguée et son corps et ses mains sont moins douloureux. Elle s'est assoupie. Elle porte toujours sa  combinaison. La pensée de son nouveau passage en cabine la fait frissonner. Elle fait un tour rapide des caméras, qui pour le moment sont toutes baissées vers le sol. Elle se dit qu'elles doivent réagir aux mouvements. Il faut donc qu'elle soit la plus discrète possible . Le message qu'elle a placé sous son bras s'y trouve toujours. Elle se concentre et se remet à son travail de dépliage. Les minutes défilent de plus en plus vite. Que le temps peut être capricieux ! Après vingt minutes, elle sent sans le voir que le papier était enfin déplié! Elle relève précautionneusement sa couverture et lit ce qui y est marqué. Elle ne comprend pas. Qu'est ce que ça peut bien vouloir dire?

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Cela doit forcément avoir une utilité. Il faut qu'elle le mémorise. Elle ne s'attendait pas à ça. Mais le Capitaine a pris des risques pour le lui transmettre, ou peut-être que c'est à elle qu'il fait courir un risque. Elle lit et relit le mot. Se répète sans cesse cette suite de lettres et de chiffres qui ressemble à un code. Il est maintenant 6h du matin et elle ne s'est pas encore débarrassée du mot. Des voix lui parviennent de l'extérieur de la tente. Elle coupe la feuille en morceaux et les met un par un dans sa bouche, puis les mâche et les avale tout en psalmodiant inlassablement le code. Les infirmiers entrent vers 6h30 avec des plateaux de nourriture qu'ils déposent devant chaque fille. Camille vient juste de se réveiller. Elle adresse un signe de la main à Mahé. Les deux autres dorment encore. Quel bonheur de pouvoir manger un vrai petit déjeuner,  il y a même des croissants. Elle sait comment s'appellent ces choses car elle en a déjà vu en mission mais elle n'y a jamais goûté. Elle n'en connaît que leur délicieuse odeur. Mahé sourit et oublie en les sentant, l'espace d'un instant , même l'enfer dans lequel elle se trouvait hier. Elle engloutit tout. Il faut qu'elle prenne des forces. Tout en mâchant ,elle pense au Capitaine. Comment être sûre que ce n'est pas un piège? Elle le saura bien assez vite. En tous cas il n'a pas l'air menaçant et elle a même l'impression qu'il veut l'aider . 

Un médecin entre suivi de l'officier supérieur.

- Bonjour matricules, nous allons vérifier vos blessures et ensuite celles qui le souhaitent pourront se lever et même sortir de cette tente pour faire quelques pas. Ce n'est qu'en fin de journée que vous regagnerez vos maisons Dépotoirs. Profitez de cette pause pour vous reposer. Et remerciez le Capitaine . C'est lui qui a ordonné que vous restiez ici jusqu'à ce soir.

- Vous vous êtes bien battues et vous méritez ce repos. Dit celui-ci pour couper court au regard mécontent du médecin.

Sur ces paroles ,il leur tourne le dos et sort aussi vite qu'il est entré. Les infirmiers enlèvent délicatement leurs pansements .Les mini blocs chirurgicaux ont fait des miracles. Les brûlures se sont asséchées. Elles sont encore douloureuses , mais supportables. Ils leur prennent la tension, la température et les laissent libres de rester au lit ou pas. Seule la matricule blessée à l'épaule est obligée de rester allongée. Elle est sous oxygène et encore perfusée. Mahé se met péniblement debout. Elle a des élancements dans le crâne et doit s'appuyer quelques secondes au bord de son lit. Elle veut sortir de la tente.  Peut-être n'y a t' il pas de barrières autour? Peut- être va t'elle pouvoir admirer autre chose que des murs pour une fois. Camille elle aussi s'est mise debout. Elles se regardent. 

- On va voir?

Elles marchent doucement ,leurs corps fourbus et courbaturés pèsent une tonne. Elles ne se parlent pas, concentrées sur la sortie, sur ce qu'il peut y avoir à l'extérieur de la tente. Elles soulèvent le battant ensemble. D'abord le soleil les éblouit, les forçant à cligner des yeux. La lumière est très vive dehors, ricochant sur la blancheur de la neige. Après quelques secondes d'adaptation elles découvrent un spectacle à couper le souffle! Elles sont au milieu d'un champ à la lisière duquel se trouve une forêt avec de grands arbres majestueux. Leurs branches sont alourdies par le poids de la neige. On dirait qu'elles paressent. L'eau dégouline sur leurs troncs créant des entrelacs brillants . Mahé, sans s'en rendre compte sourit.

- Quelle merveille! souffle Camille. Tu avais déjà vu une forêt toi?

- Non . Jamais. Essayons d'avancer jusqu'aux barrières, cela nous permettra de nous approcher des bois. Tu sens toutes ces odeurs? Hier, nous étions quasiment sûres de mourir et aujourd'hui nous sommes plus vivantes que nous ne l'avons jamais été. Nous ne reverrons jamais l'extérieur comme maintenant. Jamais.

- Sauf si l'une de nous deux gagne. Tu fais quoi comme travaux en général? Demande Camille

- Je fais surtout des besognes ménagères . Lavage, ménage, couture, je ne pars pas trop souvent à l'extérieur par rapport aux autres matricules de la maison. Quand je sors , c'est essentiellement pour nettoyer des maisons vides . Je ne croise jamais  personne à l'extérieur  à part le garde qui m'accompagne . Ce qui est laborieux c'est que l'on me donne toujours des uniformes tachés de sang ou de merde à laver. Des choses qui puent et qui sont horriblement difficiles à nettoyer. Je dois le faire à la main par tous les temps. Je n'ai pas le droit de m'arrêter tant qu'il reste une salissure. J'ai plus l'impression qu'ils essaient de me laver le cerveau plutôt qu'autre chose.

- Je n'ai jamais vu aucune des filles dans ma maison faire ce travail. C'est très curieux . Rétorque Camille.

- Et toi que fais tu?

- Dans notre bâtisse , nous sortons presque toutes chaque jour. Nous enchaînons corvées sur corvées. Moi ,j'ai eu le malheur d'aller faire le ménage chez un haut dignitaire. Et maintenant c'est lui ma corvée.

 Le regard de Camille se perd dans le vague. Mahé lui pose la main sur l'épaule pour la réconforter et l'inciter à continuer.

- Je sors quatre fois par semaine et pendant plusieurs heures il se sert de moi comme bon lui semble. Il me violente et me bat, m'attache avec un collier de chien parfois et me promène.

Camille sanglote bercée par Mahé.

- J'ai choisi de participer à l'épreuve parce que je n'ai plus peur de mourir. L'enfer pour nous est sur terre! Le purgatoire des femmes. L'instinct de survie est tenace et la mise en combinaison m'a changée .Et j'ai enfin un but. 

Le silence accueille ses dernières paroles. Elles marchent encore un peu côte à côte. Puis se posent chacune sur un rocher. Il ne leur reste que quelques heures pendant lesquelles elles vont admirer ce qui les entoure et s'en repaître. Elles rentrent juste pour manger et ressortent se poster au même endroit. Jusqu'à ce que le bruit d'un camion se fasse entendre. L'appel tant redouté retentit, les exhortant à se rassembler dans la tente. Ils vérifient une dernière fois leurs plaies.

Et elles sont ramenées comme elles sont parties brinqueballées dans leur fourgon blanc.

L'ÉmancipationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant