Le début

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Mahé se laisse emporter par cette marée humaine. Aucune des filles n'osent regarder vers l'intérieur.  Elles avancent toutes têtes baissées, le souffle court, le coeur battant. Beaucoup sont déjà à bout de forces et le froid glacial de cette journée d'hiver ne fait qu'empirer leur état. Il transperce leurs vêtements trop légers, agresse leurs peaux rugueuses comme de mèche avec leurs bourreaux. Il y a beaucoup de neige dans la cour ce qui ralentit leur progression et mouille leurs uniformes. Etrangement la combinaison de Mahé la protège des assauts du froid alors que les autres, les lèvres bleuies, grelottent. L'une d'elles, épuisée lui tombe dessus. Mahé se penche sans se faire remarquer pour l'aider à se relever. Le matricule 3010 la remercie en l'appelant par son prénom. Mahé n'en revient pas.  

- Je m'appelle Mahé. Chuchote t'elle. Et vous ne m'aurez pas.

Chaque victoire même minuscule lui permet de retrouver du courage. Et plus l'entrée du hangar se rapproche et plus elle répète son prénom en boucle pour s'accrocher à quelque chose. Elle se concentre et se revoit dans la salle des consoles et devant la capsule. Et là, tout remonte: son supplice ainsi que sa mise en combinaison. Ses yeux s'embuent de larmes. Elle se parle à elle même pour tenir.

- Sers toi de ta rage. Ne lâche rien. Ne leur donne pas cette satisfaction.

Elle continue d'avancer fixée sur un seul objectif: ressortir du hangar. Quand tout à coup elle aperçoit du coin de l'oeil sur sa droite plus loin une autre fille en combinaison. Elle a envie de lui parler mais il ne faut surtout pas que les soldats la voient. Elle se déplace imperceptiblement vers elle en ne quittant pas des yeux ses tortionnaires pour être sûre qu'ils ne se rendent pas compte de ce qu'elle a en tête. Les hommes en noir ne savent plus où donner de la tête et leur tension est palpable. Ils s'agitent en vociférant des ordres et en poussant les filles.  C'est la première fois que Mahé voit ça. Quelque chose d'énorme doit se préparer. L'autre matricule comprend son manège et tente elle aussi de venir à sa rencontre. Mahé veut savoir d'où elle vient, si elle a subi le même traitement qu'elle et surtout si elle a la moindre idée de ce qu'elles font toutes là. Elles se rapprochent pas à pas, mais un des gardiens plus près de l'autre fille remarque leur manigance. Il se fraie un passage jusqu'à elle bousculant et malmenant toutes les Sans Fonction qui le gênent. Mahé l'entend hurler:

- 8836 qu'est ce que tu regardes?

8836 baisse les yeux sans répondre. Le soldat se colle à elle.

- Fais attention je t'ai à l'oeil. Tu es une petite vicieuse toi. Je sais que l'obéissance n'est pas ton fort. Tu veux que je te fasse la même chose que la dernière fois? Je sens que tu en crèves d'envie.

La femme relève doucement la tête et le fixe intensément en lui souriant d'un air narquois. Mahé ne comprend pas ce qui se passe mais impuissante fait signe à l'autre matricule d'arrêter.

- Tu veux sourire! Pas de soucis! Je vais te faire un sourire que tu vas garder toute ta vie. 

L'homme très excité sort un couteau de sa poche. Il attrape 8836 par les bras, l'immobilise et rapproche son arme des commissures de la bouche de la jeune femme qui ne cesse de sourire. Mahé comprend qu'elle ne pliera pas. Elle voudrait l'aider mais ne sait pas comment. Elle implore du regard celles qui l'entourent, mais elles continuent d'avancer comme si de rien n'était par peur des représailles. Elles sont tellement plus nombreuses qu'eux, il suffirait qu'elles se soulèvent toutes en même temps et elles pourraient se libérer. Mais pour faire quoi et aller où? Si Mahé a encore des velléités de rébellion, la plupart écrasées par la peur et les mauvais traitements ont renoncé depuis bien longtemps. Certaines ont l'air tellement ahuri qu'elles ne semblent plus faire partie de ce monde juste le subir. Mahé est tout près d'eux maintenant, elle ne réfléchit pas et tombe de tout son poids sur le militaire entrainant celui-ci dans sa chute. Elle entend le bruit métallique de la lame qui rebondit sur le sol. L'homme est furieux, il cherche son poignard mais ne le trouve pas. De rage il se met à insulter et à tabasser Mahé. 8836 hors d'elle l'invective:

L'ÉmancipationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant