Enfermée

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Justine se réveille toute engourdie. Elle a l'impression que son corps vient de passer sous un rouleau compresseur. Elle ne se sent nauséeuse, une drôle d'odeur emplit ses narines. Elle ouvre les yeux péniblement. Quelle heure peut- il bien être? Il fait encore nuit. Et quel mal de dos! En voulant allumer sa lampe de chevet elle se cogne à la tête de lit.

- C'est pas possible, je suis malade ou quoi?

Elle veut se mettre assise pour calmer sa nausée, quand elle se tape de nouveau la tête.

- Putain c'est quoi ce bordel!

Et là, elle se souvient. Elle se trouve dans une de leurs caisses. Elle referme les yeux tout de suite, se rallonge illico et s'efforce de calmer sa respiration. Elle suffoque. Elle aspire de grandes bouffées d'air et se parle à haute voix pour se rassurer:

- Ne crie pas. Ferme là. Respire. Attends un peu. Ensuite, tu ouvriras les yeux. Tout va bien. Il faut juste t'habituer. Calme toi. Tu ne risques rien.

 Elle se tient immobile pendant quelques minutes. Elle s'efforce d'effacer les murs de sa prison pour se projeter en pensée vers sa fille bien-aimée. Il faut absolument qu'elle soit l'émancipée de cette année. Plus jamais l'occasion ne se représentera d'avoir la possibilité de sauver sa fille du Trioir. Elle se met à répéter son prénom entre ses dents et le scande encore et encore.

- Louise, ma chérie .Louise ma princesse. Louise ma beauté . Louise .

 Quand elle sent la panique refluer, elle ouvre les yeux. D'abord elle ne regarde pas vraiment. Une lumière tamisée éclaire sa geôle. Il y a deux orifices par lesquels s'immisce un peu de clarté lui indiquant qu'il fait encore jour dehors. Quelle heure est-il? Elle a perdu la notion du temps. Si l'épreuve dure plus qu'une journée comment Vincent va t'il faire avec les enfants? Son esprit a besoin de s'occuper car elle n'est pas encore prête à se confronter à sa prison. Son mari est sûrement en train de la regarder . Elle doit absolument le rassurer. Elle pointe le pouce vers le ciel  dans un geste qui n'est destiné qu'à lui. Pour le moment elle fixe son regard sur les planches du couvercle de la caisse. Elle entend le bruit des caméras qui pivotent .La rage se met à bouillir en elle. Elle imagine toutes les autres femmes enfermées comme elle. Et leur jubilation à Eux, ces pervers, ces malades, qui les regardent souffrir dans leurs pseudos cercueils! Elle veut les narguer pour leur montrer qu'ils n'ont pas le pouvoir de la détruire et pour se rassurer aussi. Sans quitter le plafond du regard elle se fend d'un grand sourire qu'elle laisse flotter un long moment sur son visage. Après de longues minutes d'immobilité, elle bouge doucement un bras pour le dégourdir, et, toujours sans regarder autour d'elle, essaie de le tendre. Sa main rencontre très rapidement le bord de la boîte. Quelle horreur! L'espace est beaucoup plus petit qu'elle ne se l'était imaginé! Une nouvelle vague de panique la submerge l'obligeant de nouveau à fermer les yeux. Ne pas crier. Elle décide de se tourner lentement sur le côté gauche. Tout son corps est douloureux surtout l'arrière de son crâne. Elle l'effleure et sent une énorme bosse.

 L'ont-ils frappé? Ne pas réfléchir.

  Elle patiente quelques minutes dans cette position, puis se contorsionne de nouveau pour passer son poids du corps de l'autre côté; reste un peu recroquevillée et se remet sur le dos. Méticuleusement elle remue chaque membre les uns après les autres. Elle s'étire doucement. Sa respiration est encore très courte, mais elle est moins terrifiée. Elle doit se confronter à son environnement. Elle entrouvre les yeux et attend qu'ils s'habituent à la semi pénombre. Elle détaille comme elle  peut, les contours flous de sa prison, quatre planches sûrement recouvertes de terre. Pour le moment pas de nourriture, ni d'eau. Elle n'a pas faim, mais la piqûre et le stress lui ont asséché la gorge. Elle a une soif terrible! Elle déglutit! Quand l'eau va tomber ne pas se jeter dessus. Boire à petites gorgées au cas où elle tienne jusqu'au bout et qu'ils ne lui donnent plus rien. Il n'y a ni torche , ni couverture. Justine a bien fait de se couvrir autant.  Son manteau et son col roulé ne seront pas de trop. Elle sent déjà l'humidité percer à travers ses vêtements. A ses pieds elle distingue un rouleau blanc et une espèce de boîte en plastique. Elle ne comprend pas tout de suite leur utilité. Elle verra ça plus tard. Tant qu'il fait jour il vaut mieux chercher toutes les façons possibles pour pouvoir se mouvoir un peu entre ces quatre planches. Elle se met péniblement semi assise sans pouvoir développer entièrement son buste. Ses épaules et sa nuque forment un angle bizarre. Elle doit régaler les téléspectateurs. Heureusement qu'elle est souple ! Elle pourra s'étirer de temps en temps dans cette position mais sûrement pas y rester des heures! Elle replie le plus possible ses jambes contre elle et se met à pivoter à la vitesse d'un escargot. Il vaut mieux y aller doucement les planches sont pleines d'échardes et elle s'en est déjà planté plusieurs dans les mains. Au moins, les sortir l'occupera un moment.

Après ce qui lui semble être une heure d'efforts intensifs, elle se retrouve allongée de l'autre côté de sa prison  et peut attraper le rouleau blanc qui n'est en fait qu'un rouleau de papier toilette! Elle n'a pas pensé à ça! elle va devoir faire ses besoins dans une boite en plastique au vu et au su de milliers de personnes. De mieux en mieux! Nouveau mantra: après ne pas crier, ne pas réfléchir, se retenir le plus possible! Qui peut avoir des idées pareilles?  Quel enfer! Elle a tout à coup envie de pleurer se sentant prise au piège comme un animal. Il faut qu'elle s'organise. Qu'elle se fasse un planning pour occuper le temps. S'étirer, respirer, bouger, se souvenir, chanter, n'importe quoi  mais éviter de rester seule avec sa peur et ce silence. Se protéger aussi. Elle se colle sur un des côtés à l'opposé des deux orifices, pour ne pas recevoir la bouteille d'eau sur elle lors de sa chute. Autant limiter les dégâts! Elle entend le bruit étouffé de ce qui lui semble être un tracteur. Peut- être certaines femmes ont- elles déjà demandé à sortir?

Cela lui redonne un peu d'espoir et elle se met à fredonner pour essayer de combler cette terrifiante attente et ne pas penser à la terre qui la recouvre.

Ne penser qu'à Louise.

Attendre et Tenir.

L'ÉmancipationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant